Petites patates


Docteur Harivola Andriamananjara s’en est allé vers un monde meilleur à l’âge de soixante-et-onze ans. « Soixante et onze ans ? » semblait chuchoter l’assemblée venue nombreuse au parvis de l’Université d’Antananarivo. Beaucoup étaient étonnés, moi y compris. Une dame présente à cet hommage univer­sitaire disait qu’elle était une de ses étudiantes au Collège Saint François Xavier Antanimena. Pourtant, elle avait presque la cinquantaine. Puis, je me suis souvenue de mon propre âge. Nos professeurs, finalement, sont comme le Père Noël, ils ne prennent jamais de l’âge. C’est nous qui grandissons et peut-être nous restons à jamais de grands enfants. Monsieur Harivola est un pilier de la construction de beaucoup de gens en tant que personne : des milliers d’étudiants qu’il a enseignés au Collège Saint François Xavier Antanimena, à l’université d’Antananarivo et autres organisations, établissements où il avait exercé sa passion. C’était un homme bon mais surtout un faiseur de leader. Dans mon jeune âge, je subissais beaucoup de violence scolaire à cause de mon physique. Grâce à lui, j’ai pu sortir de cette mauvaise impasse en apprenant l’autodérision. Aux premiers cours, il expliquait toujours que son prénom est Harivola et ses surnoms : « monsieur patate » et « Bouba » vu sa corpulence et sa petite taille. Puis, il nous disait « libre à vous de m’appeler comme vous voulez ». Je me souviens aussi qu’il nous répétait souvent que nous étions ses « petites patates ». Il était aussi quelqu’un de toujours joyeux et aimait faire des blagues auto-dérisoires. Mr Patate ne le savait peut-être pas, mais il a pu ainsi sauver de nombreux élèves de la dépression, de la violence, du manque de confiance en soi. J’ai pu ainsi me moquer moi-même de ma laideur, des surnoms de chien qu’on me donnait. Sa grande connaissance était aussi une délivrance. Les cours de géographie au collège, puis à l’université ressemb­laient à des émissions d’évasion. Un ami le surnommait « Monsieur RFI » tellement c’était riche. Ce prof avait le talent de faire écouter même les petits durs du collègue. Monsieur Patate était aussi un grand mentor. C’est grâce à lui que j’ai apprécié l’histoire et la géographie. Grâce à lui et avec son appui que j’ai choisi de poursuivre mes études supérieures au département de Géographie. Les grands hommes laissent de grands vides. Nous saluons tous les travaux et recherches universitaire qu’il a faits, l’engagement citoyen qu’il a abattu mais aussi le mentor qu’il a été pour beaucoup. Le 5 octobre, journée mondiale des enseignants, Monsieur Patate a déposé sa craie, sa toge pour nous laisser le devoir de continuer. Bon envol.
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