Madagascar, absence de Vision 2030


C’était en décembre 1994, tout au long de 1995, et jusqu’à mi-1996 : «Madagascar, Vision 2030». Une planification stratégique à long terme, suivant la méthode NLTPS (National Long Term Perspectives Studies). Un sigle supplémentaire, et tardif, inventé pour établir un double constat d’échec de trente années de gâchis : celui des plans de développement et leurs catalogues de projets sans cohérence, et celui des programmes d’ajustement structurel. Les critiques des ces deux précédentes prescriptions étaient officiellement permises après que le PNUD et la Banque mondiale ont parrainé la conférence de Lomé (décembre 1988) et celle de Maastricht (juillet 1990) : «prédominance au capital physique au détriment du capital humain», «plans fortement centralisés, trop ambitieux», «absence d’articulation entre le court et le moyen terme avec le long terme». Il faut sans doute croire que les pays contraints à suivre ces médications ne s’étaient pas non plus donnés les moyens d’une plus grande autonomie. Alors que l’opinion 2022 s’émeut d’un énième constat catastrophique, celui cette fois-ci de la Banque mondiale sur l’éducation, le NLTPS 1996 parlait déjà d’une fourchette de 25, 30 ou 35 ans, «le temps d’une génération qui est nécessaire pour reconstituer et/ou réhabiliter les superstructures». Vingt-cinq ans après, c’était déjà l’année dernière. Ce document (Études nationales de perspectives à long terme, Madagascar : Vision 2030, Secrétariat d’État à l’Économie et au Plan & PNUD, Antananarivo, juillet 1996), dans sa grande ancienneté, égrenait déjà une nomenclature de mots et expressions qui sonnent étrangement moderne tant ils sont restés d’actualité: le niveau de vie par habitant a chuté de 40% de 1971 à 1990 ; le revenu par tête a baissé de 10% entre 1991 et 1995 ; la consommation par tête a dégringolé de 44,5% entre 1961 et 1995 ; plus de 70% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté... Il y a 25 ans, l’État n’arrivait déjà pas à assurer les services sociaux de base : éducation, santé, sécurité, infrastructures. Le taux de scolarisation avait régressé de 20% entre 1985 et 1996, le taux d’abandon scolaire atteignait 62% au niveau du primaire en 1990. Un pourcentage très conséquent, de ceux qui sont devenus les parents d’aujourd’hui, rentrait donc dans la définition pnudienne de «population non instruite» : «tout individu qui n’a pas terminé le cycle d’enseignement primaire, et/ou affirmant ne savoir ni lire ni écrire». Madagascar : absence de Vision 2030. La dévalorisation sociale des enseignants a été organisée, par désintérêt méthodique et indifférence systématique. Le recrutement massif de «maîtres FRAM», souvent sans les qualifications minimales, a été préféré à la filière, organisée et encadrée, des Écoles normales. Il y a 25 ans, on parlait déjà de «génération sacrifiée». Mais, depuis 25 autres années, Madagascar ne fait que ça : sacrifier une génération après l’autre. «Madagascar, Vision 2030» avait prévu le scénario intermédiaire du boutre à la dérive. La séquence finale imagine un navire étranger remorquer le boutre tandis que des groupes d’intérêts privés étrangers auront recréé l’âge des comptoirs commerciaux, des firmes étrangères auront investi dans les richesses du sous sol, des concessions agricoles et la gestion des parcs nationaux à vocation touristique. Exode rural et démographie galopante achèvent de ruraliser les villes et de dégrader les campagnes. Un semblant d’ordre social ne cache pas l’insécurité grandissante. Le scénario catastrophe se clôt par une acculturation, la perte d’identité, la disparition du patrimoine culturel. Nous vivons ce cauchemar éveillé.
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