Accessoires indispensables du 8 mars


Cinq innovations décisives ont donc amélioré le quotidien des femmes, dans le monde entier. Parmi elles, la bicyclette, inventée en 1880, qui leur a permis de se déplacer librement. Les femmes anglaises de l’époque victorienne, engoncée dans une jupe de 7 kilos, avaient demandé la création «de tenues plus rationnelles» adaptées à la pratique féminine du vélo. Grâce à Gabrielle «Coco» Chanel et son tailleur-pantalon, la femme s’emparera du pantalon, autre innovation décisive. Rappelons qu’en 1431, Jeanne d’Arc fut brûlée vive par les Anglais comme hérétique, surtout parce qu’elle avait osé porter des vêtements d’homme. En France, une loi du 7 novembre 1800, à laquelle plus personne ne faisait attention, interdisait «le travestissement des femmes» et elle n’avait été abolie officiellement que le 4 février 2013. Dans «Tintin et les Picaros», oeuvre de 1975, la seule femme en pantalon se trouve être la compagne du général Alcazar, une caricaturale mégère acariâtre. Peggy «porte la culotte» véritablement, le guerillero Alcazar accourant au moindre index péremptoire, le kalachnikov entre les jambes. La troisième innovation décisive est la serviette hygiénique, inventée dans les années 1920, elle est devenue tellement banale qu’on en oublie combien cet accessoire indispensable représente d’acquis social. La belle histoire d’Arunachalam Muruganantham, un pauvre travailleur du textile dans le Sud de l’Inde, nous apprend comment, dans de nombreuses régions du monde encore, des milliards de femmes demeurent stigmatisées pour avoir des règles. Arunachalam Muruganantham venait de se marier, en 1998, quand il découvre le cycle menstruel chez la femme. Encore, uniquement parce que son épouse eut honte et lui cacha les chiffons dont elle se servait pour éponger le sang. Elle lui expliqua qu’il ne lui était pas possible d’acheter des serviettes hygiéniques à moins de sacrifier l’argent de la nourriture. Il voulut donc lui en offrir et s’étonna que dix grammes de coton dans un emballage coûte 40 fois le prix de cette matière première. Il commença donc par en fabriquer pour sa femme et attendit qu’elle lui fasse un feedback. C’est là encore qu’il découvrit que le cycle menstruel était mensuel. Il ne put attendre un autre mois («Ça aurait pris des décennies, dit-il, pour mettre au point le produit») et se résolut à prospecter des volontaires. Alors, il apprit que dans les villages alentour une femme sur dix seulement utilisaient des serviettes hygiéniques (chiffres officiels de 12% dans toute l’Inde de 2011). Faute de cobayes, il se fabriqua un «utérus» à partir de la chambre à air d’un ballon de foot qu’il emplit de sang de chèvre avant de le glisser sous sa tunique traditionnelle. Ainsi équipé, il entreprit de vivre «normalement», c’est-à-dire de pratiquer sans restrictions toutes les activités physiques du quotidien. Ses méthodes d’expérimentation parurent tellement étranges, et encore plus terriblement «mystérieuses» dans un village rural superstitieux, que sa femme le quitta. Un jour, il eut l’idée de collecter des serviettes hygiéniques usagées pour en étudier le fonctionnement : mais, quand sa mère découvrit ce peu ragoûtant inventaire, elle partit à son tour. Ses amis l’évitèrent et, finalement, son village le convainquit d’aller vivre ailleurs à moins de se faire désensorceler. Deux ans et trois mois, plus tard, il finit par découvrir le secret industriel : de la bête cellulose à partir d’une écorce d’arbre. Au bout de quatre ans et demi supplémentaires, il mit au point le squelette en bois d’une machine qu’il soumit à l’expertise de l’Indian Institute of Technology à Madras. D’abord sceptiques, les gens de l’IIT inscrivirent le prototype au concours national d’innovation. Sur 943 projets, celui de Arunachalam Muruganantham remporta le premier prix qui lui fut remis par le Président indien de l’époque. L’orphelin, qui dut abandonner l’école à 14 ans pour aider sa mère, venait d’entrer dans le halo de la célébrité. Il raconte avoir reçu aussitôt un coup de fil : «Tu te souviens de moi ?»... C’était sa femme. Ça lui prit dix-huit mois pour fabriquer les 250 premières machines qu’il transporta dans le Nord de l’Inde, le Bihar-Madhya-Pradesh-Rajasthan-Uttar Pradesh, région la plus sous-développée du sous-continent : «Si je perce le Bihar, dit-il, cette coquille impénétrable, ça marchera partout ailleurs». En Inde, les femmes qui ont leurs règles n’ont pas le droit de se rendre au temple, d’aller sur la place du village, ni de faire la cuisine. Elles sont «impures» et assimilées aux tristement célèbres «Intouchables». Persuader ne fut pas facile. Tout comme certains médecins anglais, de la fin du XIXème siècle, avaient prédit les maladies les plus saugrenues aux femmes de l’époque victorienne qui faisaient du vélo, la superstition d’un village rural indien du XXIé siècle avait d’abord craint la cécité ou la stérilité des femmes qui utiliseraient des serviettes hygiéniques. Finalement, 1300 villages plus tard, 23 états de l’Inde conquis, voilà Arunachalam Muruganantham étendant son concept à 106 pays à travers le monde dont l’île Maurice et le Kénya, à nos portes. Et pourtant, il dit continuer de préférer la délicatesse du papillon qui suce le miel de la fleur sans l’abimer, plutôt qu’un grand business qui serait parasite, comme un moustique. Chaque machine produit 200 à 250 serviettes hygiéniques par jour, au coût unitaire de 68 ariary (contre 184 pour les produits industriels). Parfois même, certaines femmes troquent des oignons ou des patates contre des serviettes hygiéniques. Et une machine à l’oeuvre convertit 3000 femmes à l’usage des serviettes hygiéniques et crée de l’emploi pour dix autres. Que, non seulement les femmes les plus pauvres accèdent aux serviettes hygiéniques, mais qu’également les femmes rurales, comme sa mère, y trouvent une source de revenus. La générosité de base d’Arunachalam Muruganantham.
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