Les manigances de l’oligarchie en place


Dans les travaux sur les chantiers des Travaux publics, surtout sur le chemin de fer Tananarive-Antsirabe, l’Administration laisse les indigènes se débrouiller entre eux pour se répartir leurs salaires. L’inspecteur des Colonies, Demongin, dans son rapport, pousse ses observations plus loin. Il relève qu’un Fokonolona touche la somme de 900 frs, pour 3 000 mètres cubes de terrassements requérant soixante quinze hommes pendant cinquante jours. Il rapproche ce montant de celui qu’encaisse l’entrepreneur pour ce travail (0,90 fr le m3 x 3 000), moins les 16% de rabais de l’adjudicataire, soit 2 268 frs ! Bref, la marge bénéficiaire est de 150%. La conclusion s’impose d’elle-même, affirme Jean Fremigacci (Mise en valeur coloniale et travail forcé : la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe, 1911-1923, lire précédentes Notes). Pour l’auteur, « les intérêts légitimes des indigènes sont sacrifiés au profit d’un intermédiaire dont le rôle est trop sensiblement réduit pour motiver un aussi fort prélèvement sur le prix du travail payé par l’Adminis­tration». En réalité, le travail forcé est la base économique de l’oligarchie maitresse de Madagascar à l’époque. Si au départ, c’est le manque de moyens financiers qui empêche la mécanisation du travail, une fois le système politico-économique mis en place, aucune machine n’est plus rentable. Le directeur des Travaux publics, Girod, en donne la démonstration pour conclure : Les terrassements des routes et l’infrastructure des voies continueront donc, en général, à être exécutés avec la pelle et la pioche. Concernant le programme des grands travaux à entreprendre sur une période de quinze ans, Girod fait d’ailleurs remarquer au premier trimestre 1921 : « Il ne faut pas laisser s’établir de légendes et laisser croire qu’il n’y a qu’à augmenter le machinisme à Madagascar pour régler la question de main-d’œuvre… Les concasseurs, les excavateurs, les pelles à vapeur, ne sont pas rentables. » Jean Fremigacci indique que Girod fait une exception pour le transport des déblais par Decauville ! D’expédient en expédient, le TA s’achemine vers un pénible achèvement. En juin 1920, la plateforme des trois premières sections est terminée, soit 98 km. Mais le train s’arrête à Ambatofotsy, au km 17. Deux facteurs l’empêchent d’aller plus loin. D’une part, le manque de rails jusqu’à la fin 1920. À cette date, la Colonie commence à recevoir des « rails usagés provenant du démantèlement des fortifications allemandes de Metz. Ils servirent à équiper le tronçon Ambatofotsy-Ambato­lampy (46 km) ». D’autre part, l’avancement très lent de la construction des ouvrages d’art. Sur la section Behenjy-Ambatolampy, tous sont livrés en 1920. Sauf un, le moins important, un pont de 47 mètres sur l’Andromba, à la sortie de Behenjy, dont le marché ne passe que le 22 aout 1919 avec celui des ouvrages de la section suivante. Ce contrat avec l’entreprise Ottino porte sur les ponts de l’Andromba, Ihazolava, Onive I et II et Ilempona. La même entreprise doit aussi réaliser les quatre viaducs de la quatrième section. L’achèvement du pont de l’Andromba, en septembre 1921, permet une première inauguration à Ambatolampy, le 25 du même mois. Ce jour-là, Girod croit promettre que le rail atteindra Antsirabe en octobre 1922. « Il se trompait encore d’une année. » Les nouveaux retards sont engendrés, « paradoxalement », par une tentative pour remettre un peu d’ordre, de régularité administrative et de justice sociale dans l’entreprise du TA. La Mission d’inspection Henri (1921-1923), se croyant plus heureuse que celle de 1917, se laisse abuser. Elle découvre finalement en mars-avril 1922, une incroyable gabegie dans le service de la construction du TA dirigée par Jaquet. Le chef de cette mission résume : Situation déplorable, désordre complet, fort onéreux pour les finances de la Colonie. En réalité, les différentes comptabilités sont ou inexistantes ou truquées depuis 1917, d’où d’innombrables gaspillages, et la passation et l’exécution des marchés sont accompagnées des irrégularités les plus graves, commises au profit d’intérêts particuliers…
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