Hertiana Ny Anjarason - « J’ai assisté en direct à la mort d’un confrère »


Les journalistes ont été au front pour faire vivre au public la crise politique de 2009. L’un d’eux a perdu la vie durant la tuerie du 7 février, sous les yeux de son collègue. C’était pourtant un samedi ensoleillé. C’est un des rares bon souvenir que Heritiana Ny Anjarason, journaliste et directeur de publication de Radio télévision Analamanga (RTA), garde de la journée du 7 février 2009. Rien, selon ses dires, ne présageait que ce jour allait être le plus dramatique de sa carrière de journaliste. Les journalistes ont été au front tout au long de la crise politique de 2009, bravant tous les dangers pour faire vivre à leurs concitoyens et au monde les événements. Pour le droit à l’information du public, l’un des leurs a été fauché en plein reportage, le 7 février 2009. Il s’appelait Ando Ratovonirina, Journaliste reporter d’image (JRI), à la RTA. Dépassant à peine la vingtaine, il fait partie des personnes ayant succombé aux rafales de balle, à Ambohitsorohitra. Onze ans après les faits, un journaliste se livre pour la première fois sur sa détresse lorsqu’il a assisté en direct au décès tragique de son collègue. Un témoignage poignant qu’il adresse comme un hommage à Ando Ratovonirina, qui a laissé sa vie pour le droit à l’information du public.  « Nous étions trois journalistes à couvrir les manifestations de ce 7 février pour le groupe RTA. Nous savions, grâce aux informations que l’on avait que la journée allait particulièrement être tendue, mais pas à ce point », narre Heritiana Ny Anjarason, directeur de publication de la RTA. « Ça a été fulgurant. J’ai même mis quelques instants avant de réaliser ce qui s’était déroulé sous mes yeux. J’étais choqué, sans voix, je ne savais pas quoi faire », décrit Heritiana Ny Anjarason. Alors que sur la place de l’indépendance, à Analakely, il a été annoncé que les manifestants allaient marcher jusqu’au palais d’Etat d’Ambohitsorohitra pour y installer leur Premier ministre, les journalistes ont pris les devants pour trouver la place idéale et hors de danger pour couvrir la manifestation. Désemparé Durant les discussions avec les forces de l’ordre, il se chuchotait que les éléments de la sécurité du palais allaient ouvrir le feu si les manifestants s’entêtaient à forcer le passage. Cela a amené les journalistes à prendre leur précaution. Une fois arrivées sur place, quelques personnalités politiques à la tête de la manifestation ont tenté de négocier avec ceux qui étaient postés dans le palais, mais en vain. Alors que ces politiciens allaient faire un rapport à la foule, une partie galvanisée par l’euphorie ambiante a soudainement brisé le barrage des forces de l’ordre du côté du ministère des Finances, prenant tout le monde de court. Quelques instants après, des rafales de balle fusaient. Les manifestants à découvert devant le palais d’Ambohitsorohitra tombaient comme des mouches. Les journalistes dont la plupart se trouvaient du côté du Trésor public afin de tenter d’avoir une réaction des politiciens qui avaient mené les négociations peu avant, se cachaient comme ils le pouvaient. Certains ont pu se réfugier dans le hall de l’hôtel Colbert, tandis que d’autres se terraient sous les îlots de fleurs du jardin du Trésor public. « Je n’ai jamais parlé de cet instant jusqu’ici. Je n’en ai pas eu la force. Nous avions quitté le desk ensemble, le matin, pour la couverture d’un événement, et quelques heures après j’assiste impuissant à son décès », décrit avec une voix tremblante, Heritiana. « Lorsque les premiers coups de feux ont commencé, je suis entré en direct à la radio Tana. Ando était à côté de moi, le monopode de sa caméra accroché à l’épaule. Soudain, il est tombé. Quand je me suis retourné, je l’ai vu ensanglanté. », raconte-t-il. « J’étais désemparé. Tout d’un coup, je me suis mis à pleurer. Je ne pouvais pas tout de suite lui porter secours, car les tireurs ont décoché une seconde salve. Ce n’est que lorsque les choses se sont calmées que j’ai pu reprendre mes esprits. Avec l’aide de manifestants, nous avons dégagé Ando de là. Toujours en pleurs, je l’ai accompagné jusqu’à l’hôpital. Durant tout ce temps, il était déjà parti  », relate-t-il tout en essayant de retenir ses larmes. Atteint d’une balle à la gorge, Ando Ratovonirina a succombé à ses blessures.
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