La terre, source d’un déséquilibre économique


L’année de l’Indépendance recouvrée dans la Grande île, les terres appropriées le sont définitivement. Selon Pierre Ottino, chercheur de l’Office de la recherche scientifique et technique Outre-mer (Orstom), il s’ensuit que des régions apparemment sous-peuplées « présentent des caractères de surpeuplement absolu, en eux-mêmes générateurs de misère et responsable de la forte asymétrie qui marque les rapports économiques et sociaux ». Cela se traduit par le salariat et le métayage et surtout par des pratiques qui permettent « à la fraction dominante d’accroître son emprise sur une masse démunie ». D’après une enquête qu’il mène autour du lac Alaotra, le terme métayage recouvre des types de rapports différents. « Au métayage vrai, s’opposent d’autres formules de services personnels consentis en contrepartie d’un avantage quelconque, comme le paiement des impôts. » Le chercheur parle d’abord du salariat. À certaines époques, les riziculteurs de l’Anony doivent recourir à la main-d’œuvre salariée. Le riz repiqué (vary ketsa) exige plus de travail que le riz semé à la volée (vary afafy) qui suit les techniques traditionnelles. Mais même cette dernière méthode réclame un apport en main-d’œuvre, d’abord en début de campagne, au moment du piétinage ou du labour suivi du hersage qui tend à le remplacer ; ensuite, en fin de campagne, au moment de la récolte, pour la moisson et le battage… Dans la méthode plus moderne, pendant la période de repiquage et du premier sarclage, il faut quarante cinq jours de travail à l’hectare, ce qui nécessite un apport extérieur. Comme l’entraide ne joue pas dans ce cas, la plupart des exploitants font appel à une main-d’œuvre salariée qui, « de plus en plus », vient de la région de Manjakandriana en Imerina. « Le régime de ce salariat spécialisé de travailleurs, diffère de celui du salariat local beaucoup moins payé. » La plantation comprend plusieurs opérations : le travail de défrichement, le piétinage, le labour et le hersage. À la fin de la saison sèche, les rizières sont envahies par de longues herbes sèches et dures qu’il est nécessaire de couper. Sur les petites exploitations, le paysan procède lui-même au défrichement. Ce travail est effectué avec un outil spécial, le fibarana. Paul Ottino le décrit comme une large lame plate fixée à l’extrémité d’un long manche qui se manie debout. Le défrichement nécessite, en fonction du terrain et de la densité de la végétation, un à trois jours. Sur les grandes ou moyennes exploitations, deux à trois journaliers sont payés en plus du repas traditionnel. L’enquête menée dans l’Anony, indique également que le piétinage tend à l’époque à disparaître du fait de la difficulté de trouver des bœufs et des équipes de jeunes gens disposés à surveiller cette opération jugée très pénible. « Autrefois, le piétinage nécessitait une dizaine de bœufs surveillés par trois ou quatre hommes pendant une journée. Le même travail pouvait être effectué en une demi-journée avec trente ou quarante bœufs. Les bœufs sont généralement loués, mais en réalité, il ne s’agissait pas exactement d’une location, les paysans rémunérant plus fortement les gardiens. » Au moment du piétinage, l’entraide joue souvent entre paysans « de même catégorie sociale ». Parfois, outre le repas, il est d’usage d’offrir trois ou quatre mesures (vata) de paddy, soit environ 30 à 50 kg pour un hectare. Le labour demande en moyenne trois jours à l’hectare et est accompli par deux hommes qui utilisent une charrue attelée à six ou huit bœufs. Le hersage demande une journée et quatre bœufs surveillés par deux hommes suffisent. Le semis direct se fait dans une journée. L’entraide y est requise s’il s’agit de variétés de riz locales qui ne sont pas destinées à la vente. Les journaliers peuvent intervenir à nouveau au moment de la récolte, pour la moisson, la mise en bottes, en meules et enfin pour le battage. Paul Ottino parle cependant de l’entraide mandriaka qui se pratique encore à l’époque. Le riziculteur qui bénéficie du travail, offre un repas copieux « accompagné de viande ». Le salariat existe également, mais il est rare que les travailleurs soient rémunérés en argent. Le plus souvent, ils reçoivent une mesure de paddy d’une variété non améliorée qui n’est pas destinée à la vente.
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