Antananarivo atteinte de la rage de paraitre


En 1895, après trente années d’efforts, la capitale royale est totalement transformée. Le trait dominant qui s’offre aux regards du voyageur débarquant à Antananarivo, est le grand nombre d’édifices religieux, souligne l’architecte Pool. La ville s’étend alors vers l’Ouest et le Nord. « Elle est déjà presque entièrement construite » (lire précédentes Notes). Toutefois, le développement de la voirie et de l’urbanisme ne sont pas allés de pair avec le système d’architecture et de constructions. Les rues sont inexistantes, seuls des sentiers et des fondrières permettent de communiquer d’un quartier à l’autre et de circuler d’une bâtisse à l’autre. Malgré les ordres royaux, aucun entretien, aucun nettoyage n’est effectué par les habitants dont l’éducation sociale reste à faire. « Ordures, tas de fumiers et cloaques surgissent à chaque pas. » Une route pavée a bien été tracée entre le Rova et la place d’Andohalo et un petit tronçon à la descente d’Ambatovinaky. On régularise aussi environ un kilomètre de chemins. Mais on s’en tient là. Aucun service public ne fonctionne pour la propreté ou l’hygiène. La peste, le typhus, la variole et le paludisme font des ravages constants et considérables. Le premier médecin européen, le Dr Davidson, arrivé à en 1861, ouvre un dispensaire qui donne cinq à six mille consultations bon an mal an. Quelques médecins viennent ensuite, dépendant de la Mission de Londres, de celle d’Edimbourg, de la Mission norvégienne et de la Mission catholique, mais ils ne peuvent suffire à la tâche. Le premier hôpital digne d’être mentionné, celui de Soavinandriana, inauguré en 1810 par Ranavalona III, accueille mille cent malades jusqu’à l’arrivée des soldats français qui y trouvent les premiers soins. Toujours à l’époque, concernant la condition de vie des habitants d’Antananarivo, les auteurs remarquent les grands changements survenus. Les transformations marquantes relèvent, en général, de « l’extrême facilité » avec laquelle la population imérinienne adopte, « dans l’ordre matériel », toute nouvelle manière d’être, de se vêtir, de se loger, de se nourrir. En matière de vêtement, l’évolution des mœurs étonne par sa rapidité.  Dans tous les cas, le désir de ne pas paraitre inférieur aux modèles européens est favorisé par les missionnaires. Ces derniers « n’hésitaient pas à donner la préférence dans les temples ou dans les églises » à ceux qui sont vêtus autrement que du lamba traditionnel. « Le zèle des catéchumènes était évalué, bien arbitrairement, à l’allure plus ou moins occidentale de l’habillement. » Antananarivo opte, avec « la rage de paraitre », pour l’usage de vêtements « vraiment européens, parfois mal adaptés au climat ». En 1857, la voyageuse Ida Pfeiffer signale que les dames de la Cour cherchent à suivre les modes de Paris. Au retour des Européens, à partir de 1862, la ville est inondée de costumes défraichis, de friperie d’Occident, de tenues militaires hors d’usage. En décembre 1873, le costume anglais est imposé à la Cour. « Tandis qu’une grande partie de la population va presque nue, ou à peu près nue, ou grelote sous des fibres grossières, à moins que ce ne soit de légères cotonnades, une minorité se pavane sous des chapeaux à plume, des crinolines et des habits brodés. On met des souliers à l’entrée du temple, on les enlève pour en sortir. » Avec l’évolution de l’habillement, d’autres usages pénètrent à Antananarivo. L’importation de toiles, calicots et indiennes, qui se développe depuis 1863, permet à la population de se vêtir, tout au moins le dimanche, d’une manière décente. En 1890, tout le monde connait l’usage du savon et s’en sert. On imprime les livres et on les relie avec art, suivant les enseignements d’un nommé Parrett, sujet anglais. Des ateliers de bijouterie et de bimbeloterie s’ouvrent, nombreux. Le missionnaire Peake sur la station de la LMS à Isoavina, enseigne les techniques industrielles. Douze jeunes gens, envoyés en France en 1886, y étudient les arts et métiers ou la médecine. À la Mission catholique, les femmes s’initient aux finesses de la dentelle et de la broderie. De nombreuses boutiques européennes bordent le chemin qui descend d’Ambatonakanga, toujours en 1890. Au contact des étrangers, la population apprend l’usage du pain, des gâteaux, du lait, du beurre, du café, du thé, du sucre raffiné et « d’une foule d’autres produits qu’elle n’emploie pas auparavant »,  alors qu’en 1863, on ne trouve nulle part du pain en vente.
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