Transport aérien - Attention à la sortie de piste


Déjà en difficulté avant la crise sanitaire qui a décuplé les difficultés des acteurs du secteur du fait de la fermeture des frontières, de la chute du trafic et du plongeon du tourisme, le transport aérien malgache n’a pas droit à l’erreur dans le cadre de la définition et de la mise en œuvre de son plan de relance qui, selon les observateurs, doit voir loin. BIEN qu’il soit encore difficile de prévoir avec de belles certitudes l’évolution du transport aérien dans les deux à trois ans à venir, les acteurs du secteur sont unanimes sur le fait qu’il est temps de boucler la phase de réflexion et de mettre sur pied un plan de relance solide afin que Madagascar ne rate pas le redécollage de son économie en général et du couple aviation tourisme en particulier. Programmer la reprise suppose en premier lieu une connaissance poussée des forces et faiblesses des parties concernées et une bonne compréhension des scénarios établis qui, d’ailleurs, ne manqueront pas d’évoluer. C’est du moins ce que soutiennent les grands cabinets internationaux comme Deloitte et EY. Pour Air Madagascar, l’enjeu se situe au niveau de sa capacité à accoucher et matérialiser un business plan à même d’éponger ses dettes, de trouver le partenaire stratégique adéquat, d’acter une nouvelle stratégie de connectivité, de reconfigurer sa flotte et d’arrimer son dispositif technico-commercial aux nouveaux objectifs. Du côté de l’Aviation Civile de Madagascar (ACM), des réformes s’imposent aussi afin d’assurer son autonomie financière et de muscler son département technique, afin notamment d’éviter que Madagascar ne s’expose à nouveau aux sanctions internationales du genre « liste noire de l’Union européenne » qui pourraient mettre définitivement son secteur aérien à genou. L’ACM dont le président de son Conseil d’Administration, Robert Jean Razafy, tient souvent à rappeler que c’est avant tout un instrument d’exercice de souveraineté nationale, tout en étant une partie intégrante du système international d’harmonisation des pratiques universelles de sécurité, de sûreté et de fonctionnement ordonné de l’aviation civile organisé dans le cadre de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale). Ailleurs, nombre de pays sont déjà à l’œuvre pour reconstruire leur connectivité aérienne après avoir débloqué des sommes considérables pour soutenir les compagnies aériennes et les plateformes aéroportuaires en souffrance. Ces initiatives reposent sur un programme de résilience et de reprise clairement défini, tenant compte des nouveaux paramètres nés du retournement conjoncturel. Penser global et élargir l’horizon [caption id="attachment_120976" align="alignleft" width="349"] Le tourisme n’est pas prêt de reprendre.[/caption] Pour le secteur aéroportuaire, la priorité est de solutionner les difficultés financières auxquelles la société Aéroports de Madagascar (Adema), pour ne citer qu’elle, fait face. Cette dernière a enregistré 12 milliards d’ariary de perte en 2020 et peine encore à recouvrer plusieurs dizaines de milliards d’ariary de créances. Parallèlement, il est indispensable de réunir les conditions nécessaires pour garantir la réussite de l’ambitieux projet d’ouverture aux partenaires et investisseurs pour l’extension et la mise aux normes des aéroports principaux dont quelques-uns sont appelés à se transformer en hubs. Si le contexte ne favorise pas l’optique d’ouverture vers les grands gestionnaires d’aéroports ou impose des montages nécessitant l’intégration d’autres acteurs, l’État stratège doit envisager et faciliter la possibilité d’impliquer les bailleurs traditionnels et les partenaires financiers potentiels comme les Eximbank, les fonds dédiés comme Africa50 ou la Société Financière Internationale (SFI). Sans oublier les véhicules de financement encore peu connus comme le Fonds fiduciaire UE Afrique pour les infrastructures (AITF) ou les acteurs du capital-investissement (private equity), ainsi que les éventuelles pistes de mobilisation de ressources sur place à l’instar du projet de fonds souverain. Selon un observateur averti du microcosme aérien de la Grande Ile et de la sous-région, il est important de penser le développement du secteur aérien à travers une approche globale et non plus par secteur ou filière. Une manière pour lui de soutenir qu’il faut une vision et une approche holistique pour capter avec efficience les opportunités offertes par les différents créneaux existants et qui inclue les niches oubliées comme l’industrie aéronautique, les services connexes à haute valeur ajoutée et, surtout, les activités extra-aéronautiques qui peuvent porter l’économie de toute une région. Il s’agit notamment pour ce dernier point d’adapter le concept d’airport city au contexte local et de redéfinir la politique du pays en matière de maillage aéroportuaire. Notons que le pays dispose actuellement de plus de cinquante plateformes de différentes tailles. Des pièges à éviter Malgré la crise sanitaire qui a bouleversé toutes les prévisions, le transport aérien demeure l’un des clés de la croissance forte et inscrite dans la durée, pilier de tout projet d’émergence économique. Mais pour réussir son pari, Madagascar doit parvenir à surmonter certains écueils et éviter ainsi, selon un pilote d’Air Madagascar aujourd’hui à la retraite, une « sortie de piste fatale ». Le premier piège serait un éventuel manque de vision dans la gestion des dossiers délicats comme le litige à 46 millions de dollars entre Air Madagascar et Air France, le choix du partenaire stratégique et des aéronefs à acquérir ou à louer pour la compagnie nationale, la place des pouvoirs publics dans la gouvernance des aéroports d’Ivato et de Nosy Be, la stratégie de partenariat pour l’extension et la modernisation des aéroports d’Adema et la définition du rôle de l’Aviation Civile de Madagascar. Il n’est pas inutile d’insister que la situation actuelle suscite de sérieux doutes sur la capacité d’ACM à se maintenir au niveau de confiance que l’on attend d’elle.
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