Une participation volontaire du Fokonolona contre les vols de bœufs


Les vols de bœufs sont toujours d’actualité et s’aggravent de plus en plus car associés à d’autres crimes. Sous la royauté, la colonisation et même après l’Indépendance, les voleurs de bœufs ont toujours sévi dans le Sud. Mais bénéficiant, il est vrai, de l’aide de leurs alliés de sang et de l’appui de l’ombiasa (devin, magicien ou sorcier-guérisseur…), ils sont difficilement appréhendés. D’où la réaction de l’Administration coloniale qui associe dans la répression des vols ces deux catégories de personnes. Car, précise Achillon Randrian­jafizanaka, « il ne suffisait pas de courir après les voleurs. Il y avait des moments où, dans les principales prisons de Toliara, Fort-Dauphin ou Morondava, plus de la moitié des détenus étaient des voleurs de bœufs » (Les vols de bœufs, revue de l’ENSA Terre malgache-Tany malagasy, Spécial Élevage, décembre 1972-janvier 1973). Ce qui, finalement, n’est pas une punition. D’abord, parce que les retraités inculquent dès leur plus jeune âge aux garçons, la « philosophie du vol » : « Tu seras un vaillant guerrier, mon enfant; tu voleras et ne seras pas pris… » Ensuite, parce qu’en prison, les anciens sont toujours volontaires pour compléter la formation des inexpérimentés. « Des liens de fraternité de sang se forment sous la présidence de l’éventuel ombiasa détenu. » Bref, la relève est assurée, puisque, dans tous les cas, on ne peut éternellement enfermer quelqu’un pour vol de bœufs. Le législateur est conscient de cet échec. Il en fera une affaire criminelle. « Les condamnations à la prison à perpétuité ou à l’exil à Nosy Lava vont foisonner. » Mais une autre solution est aussi trouvée ou plutôt renforcée. Le Fokonolona est obligé de participer à chaque « Opération vol de bœufs » effectuée par la gendarmerie. Pourtant, cela reste vain avec « le système de complicité et de parenté qui formait un mur ». Ce qui est valable dans le passé. Auparavant, en effet, le problème est relativement sans importance dans la mesure où chacun se rend lui-même justice et peut prendre sa revanche. D’autant plus que l’on connait les malaso puisqu’ils ne se cachent pas du tout et préviennent même à l’avance de leur venue. « Les attaques étaient organisées ainsi que la défense.» Mais ce n’est plus autorisé sous la colonisation. L’Administration, forte de ses lois, de ses tribunaux et de ses prisons, « avait vaillamment et résolument pris en charge la lutte contre le vol des bœufs ». Toutefois, si l’Administration peut arrêter quelques fortes têtes, si elle éloigne ou exécute certains vieux dahalo, elle ne peut pas, sinon « ne pensait pas », s’attaquer à la racine même du mal. C’est pourquoi elle ne peut gagner la confiance du Fokonolona, « soucieuse avant tout d’imposer le respect ». L’Administration, ajoute l’auteur de l’étude, veut mener seule le jeu. Le Fokonolona, victime et principal intéressé, se sent réduit à n’être que simple spectateur. « Et comble de contradiction, face à une autorité qu’il ne reconnait pas et qui lui fait payer de lourdes taxes et impôts, ce Fokonolona ne participe pas et se fait complice des voleurs. » Toujours selon l’auteur de l’étude, cette participation populaire est, cependant, la condition sine qua non de la réussite. Mais pour réussir, continue Achillon Randrianjafizanaka, « cette participation doit être comprise, motivée, volontaire et non forcée ». Les collectivités du Sud, longtemps ignorées, victimes de l’analphabétisme, vivent encore dans un univers très traditionnaliste où la méfiance de l’étranger, sinon la peur persiste. « Méfiance qui peut le pousser à des actes de désespoir, qualifiés de barbares par certains, de rebelles par d’autres. » Citant Faublée qui affirme en 1954 (La cohésion des sociétés bara), que « les vols ne cesseront pas tant qu’il y aura des Bara dans la région », l’auteur signale que « c’est vrai pour les autres». Car, souligne-t-il, tant que ces hommes se sentiront avant tout membres d’un tel groupe ethnique avant d’être Malgaches, tant qu’ils seront soucieux de glorifier sans distinction les héritages du passé, « alors il n’y aura pas de transformation profonde possible.» « Ainsi, si ailleurs on assiste à une course à l’occidentalisation, si ceux-là se hâtent d’oublier comment vivaient ou pensaient les ancêtres », au contraire, « ici on cherche les moyens à perpétuer ce passé », insiste l’auteur.
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