Les Sorabe, le témoignage le plus sacré de la tradition


Les Arabes laissent à la langue malgache , un grand apport. « Des mots, se rapportant à la science magique des ombiasy antemoro, nous révèlent essentiellement des notions astrales liées, comme le calendrier lunaire, à la marche du temps et à la divination qui guérit, au destin des hommes. Le mot Kibory est un nom arabe », apprend-on dans le livre d’histoire de 1968 destiné aux lycéens (lire précédentes Notes). Les jours de la semaine se sont répandus dans toute l’ile. L’un d’eux, Zoma (vendredi), est synonyme de marché. Les noms arabes des mois recouvrent finalement le calendrier duodécimal qui, selon l’ethnographe Hébert, aurait été apporté dans l’ile par la seconde vague d’immigration deutero-indonésienne. « Les pôles de diffusion des influences arabico-malgaches occupent les deux extrémités de la Grande ile : la frange côtière du Boina (Boeny) au Nord-Ouest de l’ile, la frange sud orientale, de la rivière sakalava aux pays de la Matitanana. » Les Sorabe, véritables archives vivantes, sont écrits en caractères arabes. Hubert Deschamps et Suzanne Vianès, dans « Les Malgaches du Sud-Est » (1959) écrivent : « Fait unique dans l’histoire de Madagascar, nous possédons des documents écrits sur l’origine des Antemoro ». Ceux-ci, ajoutent-ils, sont très fiers de leur Sorabe (grande écriture). Manuscrits historico- religieux très répandus parmi eux, ils sont entourés du plus grand respect parce qu’ils représentent en quelque sorte l’héritage reçu de leurs ancêtres prestigieux de La Mecque et transmis fidèlement de génération en génération. « Il s’agit de feuillets de papier de fabrication locale, cousus en cahiers et reliés en peau de bœuf grossièrement tannée et ayant généralement conservé ses poils : la couleur de la couverture servait à désigner le manuscrit qui ne porte jamais de titre. » Le papier employé est fait de l’écorce moyenne de l’arbre «havoha», réduite en pâte et bouillie longuement avec une forte lessive de cendres, puis étalée sur des moules, séchée au soleil et glacée ensuite à l’aide d’eau de riz. Le papier obtenu (satary) est d’une finesse variable, mais ne boit pas l’encre (haboro). « L’encre, précise Flacourt, se fait avec la décoction du bois nommé arandrano (copalier) qu’on laisse tarir jusqu’à ce qu’elle soit bien épaisse. » Le livre est enfermé dans une sorte d’étui en vannerie nommé « sandrify », généralement rangé lui-même dans un coffre situé au nord-est de la maison. « Le consulter est toute une affaire, toute une cérémonie. » Le propriétaire du manuscrit- « ou mieux son dépositaire, le gardien »- lettré lui-même, appelé « Katibo », s’assied un peu au sud de la porte est, son ou ses consultants en face de lui. Au moment où il saisit l’étui du livre sacré, il prononce la formule suivante : « Kolohoa alaho ahadolaho samado alahizolidi voala hizoladi kofo vaohado Amin. » Il défait ensuite le cordon qui lie le « sandrify », sort le livre, et trois fois de suite, l’élève au-dessus de sa tête, puis le pose contre sa poitrine. Enfin, il peut l’ouvrir et y chercher réponse à la question posée. Il faut également que le consultant apporte une offrande, soit du rhum soit de l’argent, offrande préalable aux ancêtres dont on va demander l’avis, et indépendante du prix de la consultation proprement dite. Hubert Deschamps et Suzanne Vianès affirment que la Biblio­thèque nationale en possède de forts anciens, « contemporains de Flacourt », ce qui les fait remonter au début du XVIIe siècle. « Ils sont au nombre de neuf. Flacourt détaille longuement l’enseignement qui était donné aux Matatanes par les nobles arabes : les écoles coraniques deviennent pour lui des Universités madécasses dont la renommée se serait étendue à toute l’ile. » Selon les deux auteurs, l’Académie malgache possède également une vingtaine de ces manuscrits, d’importance vari­able, dont la plupart sont des copies datant du début du XXe siècle, offertes par différents voyageurs. Évidemment, c’est chez les Antemoro que l’on retrouve le plus grand nombre de ces écrits. » Comme on le voit, les Sorabe ont un caractère sacré, par le fond (remontée vers les temps mythologiques, relation d’évènements souvent liés aux généalogies) et surtout par la forme mystérieuse (formules magiques). D’après les auteurs du livre d’histoire, ils sont « le témoignage le plus concret et le plus sacré de la tradition qui relie le clan à sa souche originelle ». Il semble enfin que la rédaction des Sorabe « ne remonte pas au-delà du XVIIe siècle », terminent-ils.
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