Les Mpilalao très présents dans le Famadihana


La musique populaire prend, à partir de Radama II, son essor et, avec l’apparition des Mpilalao, se développe considérablement. Toute fête publique ou privée ne saurait se passer du concours des Mpilalao, autrement appelés « Mpihira gasy », groupe dirigé par un harangueur et composé d’un orchestre, de chanteurs et de danseurs hommes et femmes. Le Famadihana (translation ou retournement de morts), fête éminemment malgache, est l’occasion pour tout groupe de Mpilalao, de rivaliser de maîtrise devant les connaisseurs. « C’est pour eux un véritable concours », assure en 1952,Marie-Robert Rason, organiste et maître de chorale de la cathédrale catholique d’Antananarivo, dans une étude publiée dans un spécial de la« Revue de Madagascar ». Comme la circoncision, il se déroule en hiver et dure deux jours au minimum. L’organiste en donne « une description la plus exacte ». La veille au soir, les proches parents vont au tombeau. Là, se tournant vers les quatre coins cardinaux, le doyen de la grande famille évoque les morts pour « les prévenir que le lendemain, ils seront transportés dans une meilleure sépulture ». Ou qu’ils seront revêtus de beaux linceuls neufs. Le jour suivant, de bonne heure, les invités arrivent, vêtus de leurs plus beaux habits. Le cortège en direction du tombeau se forme : derrière les esclaves qui chantent à tue-tête, suivent les Mpilalao dont les roulements de tambour se répercutent dans les vallons noyés de brume. Puis, arrivent les parents portés à dos d’esclaves, dont certains revêtent fièrement et en dansant, les lambamena, linceuls, fruits de l’artisanat malgache, qui doivent envelopper les dépouilles mortelles. Et pour fermer la marche, les invités, en filanjana également. Le défilé ondule lentement « au milieu de nuages de poussière rouge soulevés par la brise matinale qui balaie les sommets des mamelons ». Et ce, selon l’itinéraire tracé par le « Mpanandro », devin qui a aussi déterminé le jour et l’heure favorables de l’ouverture du tombeau. Celle-ci ne doit se faire qu’avec les premiers rayons du jour. Marie-Robert Rason poursuit sa narration. « Vers l’Est, le ciel commence à rougir. Un long moment de silence s’installe, coupé de sanglots et de pleurs : chacun évoque ses morts. Les parents pénètrent dans le tombeau, enveloppent les ossements des revers de nattes neuves et de lamba blancs et les portent dehors à bout de bras, où ils sont accueillis par des clameurs. » Le doyen d’âge, débout au sommet du tombeau, au moment où l’on sort une dépouille, demande : « Qui va là ? » À l’intérieur, une voix répond par le nom du défunt que l’on vient d’extraire. « Alors, chant et musique éclatent pendant que l’on promène la dépouille au-dessus des têtes jusqu’à une tente sous laquelle elle doit passer la nuit et où on la revêt de riches lambamena. » La cérémonie recommence pour tous les autres habitants du tombeau. L’organiste signale ce qu’il qualifie de « détail curieux ». Selon lui, il est interdit à ceux qui ont touché les cadavres de se laver les mains avant d’avoir mangé et de s’être gorgés de « toaka » (boissons alcooliques). De nombreux bœufs sont abattus pour servir aux repas pantagruéliques qui dureront toute la journée et toute la nuit. « Des dames-jeannes entières de rhum sont vidées ! » Alors entrent en lice les Mpilalao, « soigneusement gavés et grisés ». Les différents groupes font assaut de brio. « Les roulements de tambour, les battements de mains, les hurlements des spectateurs et les cris perçants des enfants qui se battent dans la poussière, donnent une impression étourdissante. » À l’aube du troisième jour, les parents du mort se remettent à pleurer, aidés un peu en cela par l’ivresse. En cas de retournement de mort, on ramène les ossements, revêtus de nouveaux lambamena dans le tombeau. Mais dans le cas de translation, on transporte les ossements vers leur dernière demeure que, toutefois, l’on ne doit pas gagner directement. On fait, au contraire, de nombreux détours, ce qui, dans l’esprit des assistants, aura pour effet de retarder, aussi longtemps que possible, l’heure de la mort. Arrivés à la nouvelle sépulture, les ossements sont à nouveau promenés à bout de bras, trois fois autour du tombe au, accompagnés de clameurs joyeuses. Puis les dépouilles sont enfin déposées à l’intérieur et l’on scelle la pierre d’entrée. La natte neuve et le lamba blanc qui enveloppent les lambamena étant mis de côté, on se les dispute vivement. « Celui ou celle qui s’en servira, sera fortuné toute sa vie : veuf, il aura bientôt une nouvelle compagne qui fera son bonheur ; stérile, la femme sera bientôt mère ; pauvre, il deviendra riche sans tarder… » La musique et les danses recommencent « furieusement » ! Finalement, au milieu d’un silence recueilli, un orateur choisi parmi les plus habiles monte au sommet du tombeau, fait éloge des morts, vante les actions d’éclat qui ont illustré leur vie. Ce kabary terminé, l’assistance se retire sans autre manifestation.
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