De la femme malgache


La mixité des genres nous est devenue banale. Mais, pour être une réalité irréversible, il faut se souvenir qu’il n’en fut pas toujours ainsi. La Franc-Maçonnerie non plus n’a pas toujours été mixte, en certains de ses ordres et obédiences : les plus anciens doivent se souvenir de ces Lucie-Lucien, Pierrette-Pierre, etc... Le collège des Jésuites, Saint-Michel, qui a ouvert ses portes en 1888, n’a accueilli ses premières collégiennes qu’à la rentrée de septembre 1966 : 80 longues années dont personne ne se souvient, surtout depuis que le Collège est désormais intégralement mixte, de la douzième jusqu’à la Terminale. Le Rotary, dont le district 9220 (Djibouti, Comores, La Réunion, Madagascar, Maurice, Mayotte, Seychelles) vient de se choisir une femme comme Gouverneur, n’a pas toujours été mixte. L’élection de Shelly Oukabay, première femme rotarienne de Madagascar (ou première femme malgache rotarienne ?) en 2001, comme première femme Gouverneur du district 9220 en 2018, est encore plus particulière quand on met en perspective son profil : née à Madagascar d’une famille hindoue ici établie depuis quatre générations, elle appartient à la minorité dite «Karana» (mon ami ZB se reconnaîtra, lui qui milite pour la disparition de ce nom). Cette communauté, abusivement dénommée des Indo-Pakistanais, parce qu’ils sont arrivés en terre malgache bien avant la création du Pakistan et sa séparation avec l’Inde, interpelle l’hospitalité légendaire des Malgaches : sa portée, ses limites. Établis à Madagascar depuis le XVIIIe siècle, les Karana s’y font incinérer (hindous) ou enterrer (musulmans). Quand ils partent étudier à l’étranger, ils se disent de Madagascar. Pourtant, ils ne sont toujours pas considérés comme «vraiment» Malgaches. Paradoxe malgache. Quelle Madagascar sommes-nous : celle qui ouvre le Rotary à une femme, celle qui élit une femme à la tête d’un district rotarien, celle qui considère cette femme indépendamment de sa communauté (karana) et de sa religion (hindoue) ? Ou celle qui s’accommode de l’apatridie des mêmes Karana ; celle qui ne s’émeut pas tant que ça de l’industrie du kidnapping desdits Karana ; celle qui, il n’y a pas si longtemps, organisait spontanément une «OPK» (opération anti-Karana, de pillage et vandalisme) qui pour un meeting politique contrarié, qui pour une défaite en football ? À bien des égards, Madagascar est un pays de mixité des genres. L’apparition récente de ces femmes musulmanes portant le voile intégral, ne doit pas nous reléguer au rang d’un pays comme l’Iran où, il aura fallu attendre cette Coupe du Monde 2018, pour que les ayatollahs se résignent à voir des femmes non voilées, et les mêmes femmes se rendre au stade en compagnie des hommes regarder ensemble un match de football sur grand écran. Presque 40 ans pour que la révolution islamique entrouvre enfin son moucharabieh sur le bon sens. Madagascar n’est pas un pays qui enferme la femme dans la jalousie d’un mari qui l’empêche de travailler. Madagascar n’est pas un pays qui interdit à la femme (fût-elle dangereusement voilée d’un niqab qui la prive des trois quarts de sa vision) de conduire une voiture. Madagascar n’est pas un pays qui interdit à la femme de devenir directeur d’entreprise, chef de parti, présidente de la République. Madagascar n’est pas un pays qui pratique l’excision sur la femme, soit-disant pour l’empêcher de connaître l’orgasme sexuel. Alors, et bien que le débat sur la nécessaire dépénalisation de l’avortement avance trop lentement, nous ferions bien de nous souvenir que la femme malgache ne vit pas exactement les mêmes problèmes que celles de ces autres pays auxquels nos autorités, de symposiums en déclarations communes, associent malencontreusement Madagascar : par paresse intellectuelle, par opportunisme touristique, par lâcheté diplomatique.
Plus récente Plus ancienne