Une autoroute à la poursuite de la forêt


Quand Gallieni, qui fut Gouverneur Général de Madagascar de septembre 1896 à mai 1905, fit percer la route Antananarivo-Rianila-Toamasina, il n’y eut pas d’études impact environnemental. Présent à Madagascar en 1896, le botaniste Henri Perrier de la Bâthie (1877-1958) n’aurait sans doute pas eu des arguments persuasifs contre le chemin de fer et la route de l’Est, présentés et compris à l’époque comme des marqueurs de civilisation. On lui devra cependant la création en 1927 des réserves naturelles qu’il avait réclamées dès 1912. L’annonce de la construction d’une nouvelle autoroute à travers la forêt de l’Est doit davantage nous interpeller, puisque 2022 n’est définitivement plus 1896. Un coup d’oeil sur la carte dressée par la FTM (Foibe Taosaritany Madagasikara) en 1990 montre le contraste saisissant entre le vert profond de la forêt de l’Est avec le blanc sinistré qui commence un peu à l’Est du lac Alaotra. Malheureusement, il faut supposer que cette immense forêt, avec sa flore et sa faune, ne doit plus être en 2022 ce qu’elle était encore en 1990. La première carte forestière de Madagascar, établie en 1905, ne comptabilisait déjà plus que 4 millions d’hectares de forêts intactes, 4 millions hectares de boisements ruinés par les exploitations agricoles et 4 millions hectares d’une brousse arbustive appelée «savoka». Quand on voit l’impact (négatif) de la RN2 à traverser (et donc à couper) la forêt au niveau d’Andasibe, on frémit à la pensée d’une «quatre-voies» et de son emprise instaurer un gigantesque no-fauna’s-land au coeur de la forêt. Déjà, on parle de «corridor» là où s’étalait autrefois une majestueuse et impénétrable forêt primaire. Bientôt, il faudra compter les îles éparses forestières. Rien que pour le Parc National Zahamena, que vaudra l’afflux humain et mécanique d’une autoroute ? Réserve naturelle intégrale en 1927, Parc National en 1997, Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007 : Zahamena sera-t-il le cimetière des 62 espèces d’amphibiens, 48 espèces de reptiles, 13 espèces de lémuriens, 109 espèces d’oiseaux, en 2027 ? La tradition merina a gardé le souvenir d’une très ancienne migration depuis Maroantsetra jusque dans la région d’Anjozorobe. Depuis, les pénétrantes et les radiales humaines ont dévasté la «Nature 5 étoiles». Près de 1500 ans plus tard, au siècle d’une prise de conscience écologique, et alors que Madagascar montre une participation zélée aux COP, nous devrions minimiser plutôt qu’accentuer notre pression anthropique. Réhabiliter le réseau routier dit de l’an 2000, un bon maillage déjà du territoire conçu dans les années 1960 : pour éviter de remblayer d’autres rizières, de niveler d’autres montagnes, de saccager d’autres forêts, d’assécher d’autres sources, de génocider d’autres espèces déjà en voie de disparition. Partout, l’écosystème forestier est sous pression des activités humaines, notamment la culture sur brûlis, le funeste «tavy». Auquel s’ajoutent les coupes illicites de bois et l’impact des excavations à la recherche de pierres précieuses. Mieux qu’une autoroute-balafre au sein de la forêt, je fais le rêve de la restauration d’un immense corridor forestier Sud-Nord, Andohahela-Andringitra-Ranomafana-Andasibe-Mantadia-Zahamena-Ambatovaky-Mananara-Masoala. Préserver l’avenir pour les générations futures.
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