Des terres pour bons et loyaux services


«Ce que nous pouvons tirer de cette histoire des déportés, qui s’insère dans l’histoire du XIXe siècle malgache, c’est que des réalités qui ont existé dans les provinces du Royaume de Madagascar- sous le gouvernement de Rainilaiarivony- n’apparaissent pas dans les correspondances officielles de l’époque » (David Rasamuel, « Des déportés en Imerina au XIXe siècle », revue d’études historiques, janvier-juin 1982). Bien que l’esclavage soit aboli au début de la colonisation, poursuit l’auteur, les descendants du gouverneur d’Ikalamavony mort en 1886, continuent à avoir des « andevo » (esclaves) certes, mais ils vivent dans une toute autre condition, bénéficiant de plusieurs avantages concédés par leur maitre hova. L’historien cite l’exemple de son informatrice (lire précédentes Notes) et indique que cela explique une chose : « Certains affranchis préfèrent l’état de servitude qui leur assure au moins la subsistance. » Pour les services rendus par leurs ancêtres- serviteurs fidèles et privilégiés dont ils sont les descendants- ils reçoivent des terres et des rizières à titre de récompense, outre la rémunération pour les tâches qu’ils exécutent : travaux domestiques puis, plus tard, gardiennage de la maison des maitres. Voici ce que dit l’informatrice de David Rasamuel : « Il y a là des terres… qui ont été données, avant le partage des biens en héritage, aux fidèles exécuteurs testamentaires, femmes et enfants démunis ayant la charge de garder la maison. » Ces terrains cédés en dons sont partagés, et plus tard bornés et cadastrés aux noms des bénéficiaires, à l’époque où l’administration coloniale impose cette nouvelle pratique à Madagascar. En outre, ces « tseroka »- nom qui désigne aussi les anciens esclaves particulièrement attachés à leurs maitres- ont le droit de rester sur la propriété où leurs ancêtres ont été déportés. « Ils peuvent non seulement y résider, mais même y enterrer. » Les dernières volontés de la fille du Komandy rapportées par l’informatrice de David Rasamuel, précisent : « De votre vivant, vous habiterez dans ce village et vous y serez enterrés à votre mort. » Par la même occasion, les descendants des maitres hova n’ont pas le droit de les expulser car s’ils le font, ils peuvent être victimes de malédictions. D’ailleurs, ces « tseroka » sont très attachés à ce village. « Je n’oubliera jamais ce village… C’est là que j’ai vu le jour et où j’ai grandi… Ces personnes pour qui je me suis épuisée et me suis fatiguée, y reposent. » Toutefois, malgré les privilèges attribués à ces « fidèles serviteurs », ils sont tenus en état de dépendance vis-à-vis des anciens maitres ou de leurs descendants. « On exerce sur eux une sorte de paternalisme ne leur laissant même pas la liberté de choisir le nom de leurs enfants, sans que les Hova n’interviennent, peut-être pas en leur imposant, mais tout au moins en leur suggérant les noms à donner. » Par ailleurs, l’enfant né de l’union de l’ancien maitre hova avec son « ankizivavy » est plus favorisé et plus libre que les autres, bien qu’il ne soit pas totalement intégré dans la famille des Hova. Il n’a pas non plus accès au tombeau ancestral des maitres, mais il obtient le droit d’être enseveli à l’intérieur du « tamboho», « un privilège important ». Il peut également quitter le village de son vivant, pour aller travailler et faire fortune en ville. « Et s’il n’a pas d’enfant, il peut adopter l’un de ses maitres pour en faire son héritier. » David Rasamuel conclut son étude en rappelant les noms utilisés pour désigner les descendants d’esclaves et même jusqu’à la période coloniale, au XXe siècle, malgré la suppression officielle de l’esclavage : « mpanompo», « andevo » ou « andevon-drazana », « ankizy » ou « ankizin-drazana », « tseroka » ou « tseroky ny maty ». Texte : Pela Ravalitera - Croquis : David Rasamuel
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