Je serai au Rova


Aujourd’hui, 5 novembre 2020, je serai Anatirova pour accueillir le premier objet proprement royal rapatrié. La précédente restitution, en 1964, avait concerné le tableau représentant l’ambassade malgache à Londres, en 1837. J’aurais tellement voulu être déjà là pour le rapatriement de la dépouille du Premier Ministre Rainilaiarivony, au mausolée «Fasan-dRainiharo», en 1900. Et, qu’est-ce que j’aurais apprécié participer à la longue marche silencieuse qui accompagna le catafalque de Ranavalona III, depuis la gare de Soarano jusqu’à sa tombe royale d’Anatirova, en 1938. Mais, voilà, trois décennies de République malgache sans vision de la Culture ni perspective du Patrimoine devaient inexorablement déboucher sur l’incendie du 6 novembre 1995. Conservation du Rova, rapatriement des objets royaux: je veux avoir une démarche de cohérence pour être à la hauteur de l’Histoire des siècles passés. Je vous invite à relire deux précédentes Chroniques qui résument l’actualité et son contexte: «Suzanne Razafy-Andriamihaingo: une grande dame de la Culture», L’Express de Madagascar du 29 mai 2020; «Rapatrier, et en faire quoi?», 2424.mg du 14 juillet 2020. (début de citation) Attachée culturelle à l’ambassade de Madagascar au Royaume-Uni (1961-1965), dont son mari, l’architecte Pierre Razafy-Andriamihaingo, était Chef de mission, elle fut témoin du don par la London Missionary Society, la société chrétienne dont relevaient les missionnaires-bâtisseurs auxquels on doit les Memorial Churches» Fiangonana Tranovato, l’enveloppe de pierres de Manjakamiadana ou la «maison missionnaire» devenue notre «Trano Gasy», du tableau de Henry Room représentant la réception de l’ambassade malgache de 1837 par la reine Adélaïde au château de Windsor. Le 3 avril 1964, une cérémonie solennelle de remise du tableau sera organisée en la salle de trône de Manjakamiadana en présence de Jeanne Ramboatsimarofy, l’alors Conservateur du musée d’Anatirova, mariée à un descendant d’Andrianamboatsimarofy, le dernier «Ambodirano» roi d’Antananarivo avant la dynastie des Avaradrano inaugurée par Andrianamampoinimerina en 1792. Dans son livre «Colline sacrée des souverains de Madagascar. Le Rova d’Antananarivo» (L’Harmattan 1989), Suzanne Razafy Andriamihaingo raconte que «le tableau d’Henry Room fut, par la suite, transféré au palais d’Argent Tranovola. Mais depuis lors, il a quitté l’enceinte du Rova pour, semble-t-il, les murs du ministère malgache des Affaires étrangères» (p.150). Ce tableau a donc échappé à l’incendie du 6 novembre 1995. Cependant, le tableau au Ministère des Affaires étrangères est une copie exécutée en Russie et offerte par l’ancien Ministre des Affaires étrangères Maxime Dovo, qui fut ambassadeur de Madagascar au pays des Tsars, de 2003 à 2018. Depuis 1989, où donc se trouve le tableau original? L’affaire aurait dû concerner le 26 juin (malgache), mais elle revient dans l’actualité la veille du 14 juillet (français). Le Monde parle en effet de la restitution provisoire de «la couronne surmontant le dais royal», un «élément décoratif en forme de couronne qui coiffait le dais utilisé par la reine Ranavalona III lors des événements solennels», selon la directrice-adjointe du Musée de l’armée. Cet objet se trouve dans la salle Joffre dudit Musée de l’armée à Paris. Notre conception de la Culture majuscule et notre gestion du Patrimoine historique monumental me laissent sceptique quant à l’opportunité de rapatrier, maintenant, des objets que le colonisateur a su conserver, et soigneusement, loin de nos autodafés. Resté à Madagascar, cet objet aurait été détruit ou perdu lors de l’incendie du 6 novembre 1995. Rappelons qu’en soixante ans, et rien qu’en Imerina, la République malgache collectionne un nombre impressionnant de destructions et de disparitions de monuments et objets historiques: incendie du palais d’Andafiavaratra (1976), destruction de la Trano Kotona témoin et des Tranomasina au Rova d’Ambohidratrimo (1980s), incendie du Rova d’Antananarivo (1995), vol de la couronne royale de Ranavalona-Reniny (2011)... Reconnaissons à la Culture majuscule, parce que historique, une dimension de souveraineté: «Et si nous sommes tellement, parce que simplement différents, au nom de la Culture majuscule, avec cette langue unique au monde, n’est-ce pas là un autre sanctuaire de souveraineté?» (Chronique VANF, «Ministère de souveraineté», L’Express de Madagascar, 15 juin 2018). Sur la base de cette philosophie, avec les moyens enfin à la hauteur d’une ambition qui ne sera plus seulement incantation, nous pourrions envisager de rapatrier.
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