Histoire : Le référendum du 28 septembre 1958


Le général De Gaulle est dans son élément. Il aime les grands rassemblements qui font vibrer. Dominant la foule du haut du « Vatomasina » royal à Mahamasina, il s’apprête à expliquer les enjeux du référendum historique donnant aux colonies le choix entre accepter ou refuser d’intégrer la future « Communauté française ». Soudain, comme par magie, une dizaine de banderoles surgissent, réclamant, ni plus ni moins, l’indépendance immédiate. Le général marque un moment d’hésitation, et a le temps de les survoler du regard avant que les forces de l’ordre ne les confisquent. Dans la cohue, une vieille femme se bat bec et ongles pour garder son précieux tissu sous l’œil amusé de la foule. Les Malgaches vivent alors un tournant de leur Histoire, en diapason avec les autres peuples sous domination, pendant que souffle très fort un vent d’émancipation venant de la Conférence de Bandoung de 1955, en Indonésie. Pendant cette décennie 1950 de l’après-guerre, la volonté de remettre en cause la carte politique mondiale se fait insistante. Pour les peuples des colonies, il s’agit de se resituer, ne serait-ce que pour leur participation déterminante dans la guerre contre le nazisme. Chez ceux qui ont vécu, même de loin, la fin de l’idéologie hitlérienne, l’espoir est réel d’entendre l’heure de la liberté sonner également pour eux. Certains pays font figure de modèles à suivre, dont l’Inde qui a réussi à obtenir son indépendance dans la non-violence prônée par Gandhi, aux antipodes de la civilisation européenne qui vient de s’entredéchirer. Par pragmatisme, et considération faite du poids démographique de l’Inde et de ses promesses économiques, l’Angleterre finit par prendre la bonne décision d’une séparation à l’amiable plutôt que de s’en faire un ennemi. L’Égypte, autre ténor du mouvement, tient à retrouver la longue tradition de civilisation et de grandeur qui est la sienne. L’apparition de deux blocs, Est et Ouest, a aussi un rôle déterminant dans le processus de décolonisation. À tort ou à raison, une communauté d’intérêts finit par se faire dans les esprits entre la lutte des peuples colonisés et celle de la classe ouvrière. On ne s’étonnera pas que les nouveaux leaders indépendantistes, pour ne prendre que l’exemple d’un Richard Andriamanjato, tout pasteur qu’il soit, fassent partie d’une génération de jeunes loups alignés sur Moscou. Les intellectuels des colonies sont séduits par le marxisme-léninisme et le fait que, dans ses deux premiers décrets, Lénine condamnait explicitement la colonisation. Deux camps Dans les colonies françaises, les populations sont mises en face de la théorie de la Loi-cadre élaborée par Gaston Defferre, et présentée comme une sorte d’apprentissage avant la prise en main par ces pays de leurs propres affaires. Sur la Grande île, les Malgaches n’arrivent pas à admettre qu’un pays qui, avant la colonisation, avait déjà une organisation d’État, des ministres et des ambassadeurs reçus par les grandes puissances, soit amené à tout réapprendre après soixante ans de colonisation. Pour eux, la Loi-cadre est la preuve que le phénomène colonial n’a fait que retarder le développement. On assiste à un véritable bouillonnement de partis nationalistes pour ne citer que l’Union nationale des intellectuels et universitaires de Madagascar (UNIUM), l’Union du peuple malgache (UPM), le Front National, le Comité d’action politique et sociale pour l’indépendance de Madagascar (CAPSIM), et même un parti se disant marxiste mais en réalité très infiltré. Lors du passage du général De Gaulle, une délégation présidée par Richard Andriamanjato est dépêchée pour avoir confirmation qu’en cas de victoire du « Non » au référendum, il donnera réellement l’indépendance. La réponse de De Gaulle ne souffre d’aucune ambigüité : « Tout de suite, mais n’attendez rien de la France par la suite ». Deux camps très distincts se font face. Pour le « Oui », le Parti social démocrate (PSD) de Philibert Tsiranana et André Resampa, l’Union démocratique et sociale de Madagascar (UDSM) de Norbert Zafimahova, l’Union des élus pour la Communauté formée essentiellement d’Européens, les évêques catholiques, ainsi qu’une Union civique pour la réforme des Institutions regroupant des partis, des syndicats, ainsi que des modérés à l’instar de Gabriel Razafintsalama. Le camp du « Non » est tout aussi fourni, sinon plus, avec notamment tous les partis qui se sont réunis au Congrès historique de Toamasina pour l’indépendance en mai 1958, un Congrès qui donne naissance à l’Antokon’ny Kongresin’ny Fahaleovantenan’i Madagasikara (AKFM), ainsi que d’autres sensibilités politiques comme le Mouvement National pour l'Indépendance de Madagascar - Madagasikara Otronin’ny Malagasy (MONIMA) de Monja Jaona, ou l’UIT de Stanislas Rakotonirina, les Missions protestantes à l’exception de la Mission protestante de France (MPF), les Jésuites progressistes influencés par le Père Boué, la presse nationaliste avec de grands noms dont ceux de Jules Ranaivo, Arsène Ramahazomanana, Gisèle Rabesahala, des syndicats comme le FISEMA, des associations sociopolitiques comme le Comité de solidarité de Madagascar ou Fifanampiana Malagasy. Les résultats de la consultation donnent 77% de « Oui » à l’échelle de tout Madagascar, et plus de 50% de « Non » à Antananarivo. Le pays attendra encore deux ans pour être un des premiers de la Communauté à recouvrer son indépendance. De toutes les façons, à l’analyse de la situation internationale, De Gaulle est bien conscient de l’impossibilité de maintenir longtemps les anciennes colonies sous un régime bâtard relevant d’un montage appelé à être dépassé par la marche du temps.
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