Question frumentaire


Frumentaire: qui concerne le blé. Autrement dit, chez nous, le riz. Dont le Malgache mange matin, midi et soir. Et dont l’expression «mihinam-bary», manger son riz, en est venue à signifier «passer à table». Émeutes frumentaires, politique frumentaire, loi frumentaire. Régulièrement, dans la Rome antique, les autorités envoyaient des missions frumentaires en Italie et en Sicile, pour ramener du blé dont pouvait manquer cruellement la Capitale qui comptait alors jusqu’à un million d’habitants. Jusqu’à 360.000 de ses citoyens dans le besoin s’inscrivaient à la distribution gratuite de blé, l’opération proprement dite de «frumentatio». Les crises de ravitaillements pouvaient être causées par des problèmes de transport ou les aléas climatiques. Qu’importe. Pour éviter le mécontentement populaire, les consuls, les tribuns, les édiles, devaient s’organiser pour que ne s’installe pas la disette. Sinon, survenait un cycle classique: d’abord, les commerçants étaient accusés d’accaparer les réserves; venaient ensuite la fronde à l’égard d’un pouvoir incapable d’assurer son rôle régulateur; enfin, la populace se livrait au pillage des greniers privés. L'anecdote du ventre qui n'a pas d'oreille aurait été servie au peuple de Rome par Caton l’Ancien, au début du second siècle avant JC. Les empereurs romains ont donné l’exemple panem et circenses qu’on t re tenu plusieurs générations de dirigeants depuis: «le pain et le cirque», comme le titre de l’ouvrage de l’historien Paul Veyne (1976) qui écrit que «Si la République, puis l'Empire, ont assuré le pain à bon marché au peuple romain, ce n'était pas pour le dépolitiser ou le nourrir à ne rien faire» (p. 456). C’est en 123 avant JC que fut adoptée la première loi frumentaire. À l’initiative de Caius Gracchus, cette lex frumentaria prévoyait une distribution mensuelle de blé à prix réduit pour tous les citoyens de Rome. Deux mille ans après, à Mada­gascar, plus précisément au coliseum d’Antsonjombe, c’est finalement pour prévenir le même enchaînement turpide, et turbide, que le Président de la Républi­que s’est lui-même investi dans la distri­bution gratuite de vivres, à toute une population mise en péril par la crise éco­nomique consécutive à la crise sanitaire du coronavirus. Bien sûr, contemporain des Romains, le philosophe chinois Confucius conseillait déjà de plutôt apprendre à pêcher à un homme affamé que de lui donner directement du poisson. Et, d’ailleurs, dans le flot des gens qui étaient venus récupérer du riz à Antsonjombe, on en entendit qui demandaient qu’on leur trouve du travail. La dignité frumentaire de gagner soi-même son kapoaka de riz se retrouve au coeur de la question : confiner ou travailler.
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