L’oligarchie merina servie par la « politique des races »


Politique des races! Cette fameuse expression traduit la stratégie que Joseph Gallieni inaugure à Madagascar, « pour détruire l’hégémonie merina et séparer la population en groupes d’indigènes de même origine, administrés par des chefs de leur race » (Guillaume Grandidier, « Gallieni » dans « Le Monde Illustré » de janvier 1924). Mais cette politique ne peut réussir que si les écoles fournissent aux Français des collaborateurs de chaque région de l’ile. « Collaborateurs confinés dans leur propre culture et s’il le faut, dans leur propre parler », précise-t-on. Finalement, ce n’est pas possible car « la plupart des fonctionnaires indigènes restent en majorité merina : il en est de même des élèves, futurs collaborateurs » (Faranirina V. Esoavelomandroso, « Langue, culture et colonisation à Mada­gascar: malgache et français dans l’enseignement officiel, 1916-1940 »). En outre, entérinant le choix de missionnaires européens qui fixent sous Radama Ier (1810-1828) l’orthographe merina et aident à sa diffusion par la traduction de la Bible et l’évangélisation, les Français renforcent la primauté de ce parler. L’Admi­nistration en instaure « l’étude exclusive » dans les cours publics de langue malgache créés à Antananarivo, par l’arrêté du 26 octobre 1897 ou dans certaines villes de province comme Mahajanga. Ces cours sont destinés aux fonctionnaires européens. Dès l’une de ses premières séances, le 10 juillet 1902, l’Aca­démie malgache donne son adhésion au point de vue de l’administration. Selon Renel, c’est « une adhésion motivée par la pression de plusieurs de ses membres, missionnaires étrangers habitués à parler merina et qui avaient intérêt à ce que cette solution fût acceptée ». Influencé par la décision de l’Académie, le service de l’enseignement impose la « langue hova » (merina) dans toutes les écoles indigènes de Madagascar, « option fortement contestée par Renel ». Ce dernier, en effet, remet en question un tel choix. De nombreuses raisons expliquent cette « officialisation » du dialecte merina, précise l’auteure de l’étude. Malgré leur désir initial de recourir le moins possible à la collaboration des Ambani­andro, dont le souvenir encore vivace de l’hégémonie au XIXe siècle risque de porter préjudice à la domination coloniale, « les Français doivent tenir compte des réalités du pays et, en premier lieu, de l’héritage du passé ». Sur le plan des relations officielles et économiques, le dialecte des Merina joue un rôle important depuis la seconde moitié du XIXe siècle, autour des anciens postes et garnisons, chefs-lieux administratifs du « Royaume de Madagascar », tenus par les « manamboninahitra » de la reine. À ces officiers s’ajoutent des commerçants, de sorte que « ces colonies houves, établies dans la deuxième moitié du XIXe siècle par les rois de l’Imerina, ont contribué à répandre jusque dans les parties excentriques la langue imérinienne », écrit Renel. La seconde raison découle tout naturellement de la première, indique Faranirina V. Esoavelo­mandroso. Puisqu’il existe dans de nombreuses localités des cadres « indigènes » hérités de l’ancienne administration royale merina, les autorités coloniales jugent intéressant- « en fait inévitable »- de les utiliser, à cause de la pénurie de personnel européen en 1896. « L’administration coloniale permet alors à l’oligarchie merina, constituée au XIXe siècle, de fortifier ses positions provisoirement menacées par sa défaite de 1895, et favorise ainsi la diffusion du dialecte merina, en lui conférant un caractère encore plus officiel. Aussi les populations sont-elles encore plus persuadées que cette langue est réellement celle du Fanjakana. » Mot qui, dans l’esprit des Malgaches évoque à la fois l’autorité centrale et les représentants de celle-ci. Le courant d’émigration merina, qui débute au XIXe siècle, s’accentue pendant la période coloniale. « Ce mouvement est lié jusqu’en 1921 à l’accroissement démographique, à la recherche de nouvelles terres dans le Moyen-Ouest, à l’octroi de petites exploitations minières en concessions par l’administration, aux tours de côte  effectués par les fonctionnaires et aux relatives facilités de communication qui favorisent les déplacements de commerçants et marchands de bétail des Hautes-terres centrales vers les autres régions. » Pour pouvoir entretenir des relations suivies avec ces immigrants qui représentent à leurs yeux le monde des affaires et celui de l’administration, les autres populations se trouvent dans l’obligation d’apprendre le dialecte merina. De ce fait, publications officielles, journaux, prédications religieuses recourent au même dialecte et contribuent à « accélérer un processus d’expansion amorcé un siècle plus tôt ».
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