La question religieuse, une grosse difficulté


Le Code des 305 articles, promulgué en 1881, affirme le principe de l’école obligatoire et impose des sanctions aux parents qui refusent de faire instruire leurs enfants. Cette disposition ne peut être généralisée, car de nombreux endroits (régions périphériques et même dans l’Imerina) restent dépourvus d’établissements et d’instituteurs. Ce qui augmente le nombre d’élèves là où des écoles existent et renforce, tout au moins numériquement, la position des Missions. Le même Code met en place un mécanisme de contrôle de l’État qui, cependant, se limite à l’envoi d’inspecteurs ou Masoivoho et à l’obligation pour les instituteurs de détenir une autorisation d’enseigner portant le cachet officiel. Et pour accorder ces « brevets », le ministre de l’Instruction publique suit les propositions qui proviennent des organismes directifs des diverses Églises. Les instituteurs présentés pour l’obtention du « brevet » sont, en outre, formés dans des écoles normales qui appartiennent aux mêmes missions. Enfin, les inspecteurs qui, « en principe, devaient seulement représenter le gouvernement, étaient devenus des instruments de propagande confessionnelle souvent en rivalité entre eux », précise Pietro Lupo qui réalise une étude sur « Gallieni et la laïcisation de l’école à Madagascar (1896-1904) , et qui ajoute: « Ils seront supprimés par Gallieni. » Malgré l’école obligatoire, le Code des 305 articles n’enlève rien aux confessions chrétiennes, ni le monopole de l’enseignement ni l’initiative de fixer le contenu des programmes. L’article 282 du Code des 305 articles ne donne que quelques indications générales concernant le contenu de l’enseignement. « Le premier degré d’instruction que doivent acquérir les élèves, est la lecture, l’écriture appliquée et le calcul jusqu’à la règle de trois. Ceux qui auront atteint ce degré d’instruction, recevront du gouvernement un certificat attestant leurs connaissances et ils pourront quitter l’école. » Et en fait, chaque Mission fixe ses programmes et se base sur ses propres manuels. Ainsi, au moment de l’annexion de l’Ile, les missions religieuses, d’une part, jouissent d’une pleine liberté pour concevoir et organiser les écoles selon leurs propres projets, et d’autre part, ils n’ont en face d’eux « aucun établissement rival soutenu particulièrement par l’État ou sous la responsabilité directe de l’État ». La monarchie n’a pas les moyens financiers suffisants pour ouvrir des écoles d’État, ni une idéologie particulière pour élaborer une politique scolaire. Bref, la « séparation » entre Églises et État n’est pas conçue en termes de conflits culturels et politiques comme en France. « D’une façon générale, cet enseignement étranger et confessionnel convenait aux souverains merina dans la mesure où ils le considéraient comme un des moyens d’affermir leur pouvoir et de défendre le royaume contre les attaques éventuelles des Européens… La reine cherche la sagesse chez toutes les nations, quelles qu’elles soient », écrit Henri Vidal dans son ouvrage sur La séparation des Églises et de l’État à Madagascar (1861-1968). En revanche, les rivalités existent au niveau des relations entre les confessions, de plus en plus fréquentes depuis 1861, quand les catholiques se lancent dans la « course religieuse », quarante ans après les protestants. À mesure que l’influence de chaque Église s’étend, les écoles se multiplient et deviennent souvent le cadre d’affrontement car les milieux sociaux touchés sont différents. Pourtant, ces groupes présentent leur œuvre, dans la presse européenne, comme un moyen « de transformation des populations et de diffusion de la civilisation occidentale et chrétienne ». Et surtout, l’école est considérée comme « l’instrument privilégié pour la diffusion du christianisme ». Catholiques et protestants sont d’accord sur une telle finalité que le gouvernement malgache ne désapprouve pas. Pietro Lupo souligne que c’est à cause de cette identité de vues qu’éclatent, dans la réalisation concrète de l’enseignement, les discussions entre les unes et les autres. Gallieni le constate déjà dans ses premières lettres écrites de Madagascar : « Cette question religieuse forme ici une très grosse difficulté (…) La meilleure solution serait l’expulsion de l’ile de tous les missionnaires et pasteurs, si l’on n’était forcé de constater que le christianisme constitue, en somme, un progrès- qui n’est, du reste, que superficiel pour les Malgaches- et que les missionnaires catholiques et protestants ont créé ici des écoles dont nous devons profiter. » Et dans le rapport de 1899 on peut lire : « … Mettant à profit le désir inné de s’instruire qui se rencontre, à un si haut degré chez les Malgaches et surtout chez les Hova, les diverses sociétés religieuses avaient fait de l’enseignement le principal terrain de leurs luttes confessionnelles et politiques. » Enfin en 1903, l’inspecteur Picquié reprendra les même thèmes : « À côté de toutes leurs églises et dans leurs églises mêmes, les missions fondèrent des écoles avec l’intention bien arrêtée d’y moins enseigner la grammaire que la Bible ou l’Évangile, et de s’attacher presque exclusivement à la propagande religieuse. »
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