Un froid à mettre des enfants dehors pour le CEPE


J’ai une pensée particulière pour tous ces enfants de dix ans qui vont subir aujourd’hui le premier examen officiel d’une vie qu’on leur espère longtemps studieuse. Ces voeux ne sont pas anodins dans un pays qui accuse une déperdition scolaire alarmante avant la fin du cycle primaire. Chaque bouche supplémentaire à nourrir devenant trop rapidement une force de travail d’appoint. Je plains sincèrement ces gosses qui vont devoir plancher dans ces conditions climatiques : mardi 5 juillet 2016, lever du soleil à 6 h 23, température à 6 heures du matin : 7°C. Il fera juste 12°C à 9 heures au moment du début des épreuves, en espérant 16°C à midi. Dans des salles de classe climatisées ou chauffées au poêle à bois, sans huisseries bancales ni fenêtres béantes, qui laissent filtrer des courants d’air assassins, sans carrelage minéral glacial, la promiscuité sur les bancs étroits aurait pu compenser les rigueurs du «ririnina» austral. Las, il faut être réaliste : même dans Antananarivo-Ville, les salles des écoles primaires publiques, voire de nombre d’écoles privées réquisitionnées pour les examens officiels, sont dans un état qu’on attend qu’elles soient dans un pays du tiers-monde, classé PMA et éligible à l’IPPTE. Je n’ose pas imaginer ce qu’il doit en être à Ambatolampy, à Antsirabe, à Faratsiho, dans ces régions réputées les plus «manara» de Madagascar, alors qu’elles ont l’infortune de se trouver à une centaine de kilomètres trop loin d’une Capitale elle-même déjà fort dépourvue... Déjà, lors des épreuves sportives du BEPC (fin du premier second cycle), les températures n’étaient guère clémentes. Le samedi 21 juin 2016, on a persisté à faire se tenir l’epreuve de natation : lever du soleil à 6 h 12 par 7°C, et la température a eu la générosité de grimper à 15°C vers 13 heures. Et la piscine d’Ampefiloha n’était pas chauffée, faute de subsides gouvernementaux... Dans une autre culture, les élèves auraient refusé de se suicider... Dans un autre pays, de droit, les parents se seraient mobilisés pour un ajournement... Sous une meilleure gouvernance, le calendrier scolaire aurait été questionné, remis en cause, adapté à l’esprit de nos lois géographiques et climatiques... Madagascar n’est pas en Europe ni dans aucune de ces parties du monde où on a quelque raison de célébrer le retour du soleil par une «fête de la musique», un 21 juin... Pas plus cette année que toutes les fois précédentes, l’on ne pourra incriminer un régime imprévisible d’alizé pour expliquer ce temps hivernal. Déjà en 1882, il y a donc 134 ans, les missionnaires jésuites notaient des températures minimales de la même veine : 13°90 (mai 1882), 9°61(juin 1882), 10°39 (juillet 1882), 9°81 (août 1882)... (cf. «Vingt ans à Madagascar. Colonisation, traditions historiques, moeurs et croyances d’après les notes du Père Abinal et de plusieurs autres missionnaires de la Compagnie de Jésus», par le R.P. De la Vaissière, Paris, Librairie Victor Lecoffre, 1885, Appendice n°I, p.330). Il y a certainement des débats urgents dans ce pays. Je me demande juste si cette urgence concerne également, de temps à autre, l’éducation nationale, ses pauvres salles de classe, ses latrines dégueulasses, sans compter les trop longs kilomètres à pied pour y arriver, fatigués et affamés. Il y a un peu plus d’un siècle, le journal du Collège jésuite de Saint-Michel notait : «le mois de juin 1913 est celui d’une épidémie de fièvre, de bronchite et de pneumonie qui terrasse les élèves» (cf. «Le collège Saint-Michel 1888-1988», par R.P. Paul François de Torquat, p.44). Dans d’autres nombreuses années, certains des élèves qui passent le CEPE ce jour seront aux commandes de ce pays : il reste à espérer qu’ils n’auront pas oublié en chemin l’esprit de compassion envers les congénères qu’ils auront été un jour. Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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