L’Humanité jamais sans la Biodiversité


Au 19ème siècle, la littérature sur «la plus belle énigme du monde», celle des origines des Malgaches, faisait florès. Au 20ème siècle, tout le monde s’extasiait sur la «Nature Cinq Étoiles» de Madagascar, une flore incroyable, une faune extraordinaire, un endémisme exceptionnel. Le 21ème siècle est celui de tous les désenchantements avec la consécration en génériques de la catastrophe écologique, des mots malgaches «tavy», «savoka», «lavaka». Évidence d’autant plus douloureuse en ces temps où les plantes médicinales, inséparables de la Nature qui les abrite, peuvent offrir des pistes alternatives dans la lutte contre les nouvelles pandémies virales. Aide-mémoire presque ironique alors que tout le monde rend hommage à la mémoire de Guy Suzon Ramangason (1955-2020), longtemps acteur environnemental, à l’IUCN, au WWF, à Madagascar National Parks, à la Faculté des Sciences. De «sanctuaire de la Nature», Madagascar menace de devenir le «paradis perdu de la Biodiversité». La première carte forestière de Madagascar, établie en 1905, comptabilisait 4 millions d’hectares de forêts intactes, 4 millions hectares de boisements ruinés par les exploitations agricoles et 4 millions hectares d’une brousse arbustive appelée «savoka». Les chiffres, même approximatifs, dessinent la courbe constante d’une dimunition de la forêt : 20 millions d’hectares boisés (1895, Girod-Genet), 12 millions d’hectares (1909, Girod-Genet), 9 millions d’hectares (1910, Bourdariat), 7 millions d’hectares (1920, Perrier de la Bâthie), 6 millions d’hectares (1927, Perrier de la Bâthie). Présent à Madagascar depuis 1896, le botaniste Henri Perrier de la Bâthie (1877-1958), avait réclamé la création de Réserves Naturelles dès 1912. C’était le 25 mars 1925, lors d’une communication à l’Académie malgache, que Henri Perrier de la Bâthie, Modeste Louvel (inspecteur des Eaux et Forêts) et Georges Petit (Museum d’Histoire naturelle de Paris), présentèrent leur «Projet d’établissement des Parcs nationaux à Madagascar». La démarche allait aboutir à la création de 10 réserves naturelles (décret du 31 décembre 1927, JORF du 5 janvier 1928). En 1931, deux ans avant de quitter définitivement Madagascar, Henri Perrier de la Bâthie avait quelque légitimité à présenter «Les réserves naturelles de Madagascar» (La terre et la vie, n°7, août 1931, pp.427-442) : Masoala (20.000 ha), Marotampona (1.600 ha), Tsaratanàna (60.000 ha), Zakamena (66.000 ha), Andringitra (30.000 ha), Ampingaratra, Lokobe (1.160 ha), Ankarafantsika (67.000 ha), Namoroka (6.000 ha), Antsingy (83.000 ha), Manampetsa (20.000 ha). Depuis, d’autres réserves et parcs ont été créés : Périnet-Andasibe (840 ha), Ranomafana (41.600 ha), Isalo (81.600 ha), Montagne d’Ambre (18.200 ha), Mananara-Nord (23.000 ha), Andohahela (76.000 ha), Kirindy (10.000 ha)... En 1987, consacrant cette démarche de sauvegarde, c’est dans le Parc national de Ranomafana que les scientifiques découvraient le lémurien des bambous (Hapalemur aureus, lémurien doré) que les Tanala connaissaient dous le nom de «Varibolomena». Plus au Sud, alors que s’amenuise l’aire du Lemur Catta, notre Maki national devenu personnage d’un Dessin-animé hollywoodien, le paradigme des aires protégées est questionné : «Des justiciers de la biodiversité à l’injustice spatiale : l’exemple de l’extension du réseau d’aires protégées à Madagascar» (Xavier Amelot, Sophie Moreau, Stéphanie Carrière, in Blanchon D., Gardin J., Moreau S. (dir.), Justice et injustices environnementales, Presses universitaires de Paris-Ouest, pp. 193- 214, 2011 (communication au colloque Justice et injustice spatiales, Paris-X, Nanterre, 12-14 mars 2008). Dans un titre bien trouvé, «Les corridors, passage obligé ?», des scientifiques ébranlent des certitudes que j’ai apprises d’autres scientifiques (cf. Carrière S.M., Hervé D., Andriamahefazafy F., Méral P., 2008, Les corridors, passage obligé ? L’exemple malgache, in Aubertin C., Rodary E. (éd.) : Aires protégées : espaces durables ?, Paris, IRD éditions, pp.89-112). On m’a pourtant expliqué que, sans corridor, permettant un échange entre un morceau de forêt et un autre lambeau de sylve, la faune est condamnée à une dégénérescence génétique, et donc disparition inéluctable par endogamie extrême. En ce sens, et à parcourir la bibliographie concernant le «couloir forestier» entre Ranomafana et Andringitra, on pourrait rêver à la restauration d’un immense corridor forestier Sud-Nord, Andohahela-Andringitra-Ranomafana-Andasibe-Mantadia-Zahamena-Ambatovaky-Mananara-Masoala... Si le 31 décembre 1927, étaient enfin créées les Réserves Naturelles, c’est que la publication, cette même année, du livre d’Henri Humbert (1887-1967), «La disparition des forêts à Madagascar» (Paris, éditions Gaston Doin) avait dû achever de convaincre les décideurs. Las, sans remonter jusqu’aux derniers crimes environnementaux de mars-avril 2020, la litanie des atteintes à la Nature inonderait une vallée des larmes : destruction de la flore au sommet du Tsaratanàna lors de deux expéditions (Meunié, 1899 et Lemoine, 1903), incendie dans l’Andringitra (20 octobre 1934) ; 1.493.503.000 arbres dont (4 millions de raphias) détruits par l’incendie de 1941 dans la région de Majunga; Ankarafantsika incendié aux 3/4 en 1966-1967 ; dans la Réserve d’Andohahela, découverte d’un parc à boeufs de 7 ha en décembre 1968... En 1935, les chiffres avancés par Roger Heim, sous-directeur au Museum d’Histoire Naturelle, étaient déjà catastrophiques : «depuis l’occupation française (1896), 7 à 8 millions d’ha de forêt ont été détruits (...) dans leur rapport au Président de la République daté du 23 janvier 1930, les ministres François Pietri et Lucien Hubert admettaient «qu’un fait technique brutal domine la question forestière à Madagascar : 100.000 hectares de forêts au minimum disparaissent chaque année sur la superficie boisée totale estimée à 10 millions d’ha» (cf. L’état actuel des dévastations forestières à Madagascar, Journal d’agriculture traditionnelle et de Botanique Appliquée, année 1935, 166, 418-426). Le lémurien endémique découvert à Ranomafana en 1987, allait rejoindre dès 2012, la liste UICN des espèces «En danger». Les 500 individus rescapés subissaient, et c’est un autre classique, une menace sur leur habitat et la concurrence humaine sur le bambou, dont il se nourrit : le bambou est prélevé par les humains pour tisser des paniers, ériger des poteaux, acheminer de l’eau. Forêt primaire ou forêt des hommes ? Se profile un conflit ontologique très existentiel : Sciences de la Vie et de la Terre vs. Sciences de l’Homme et de la Société, inventaires floristiques et faunistiques vs. association composantes écologique, géographique et humaine. En 1931, Henri Perrier de la Bâthie rapportait que la tortue radiata avait été longtemps protégée par un Fady (tabou) mahafaly autour du lac Tsimanampesotse. un autre Fady, sakalava, préserve la forêt de Lokobe, sur l’île de Nosy-Be. Avant le point de non-retour, aux côtés des SVT, la connaissance des sociétés humaines riveraines devrait être mise à contribution pour sauver la Flore et la Faune, la Biodiversité et l’Humanité.
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