Richard Randriamandranto - «Nous n’avons pas besoin d’ennemi dans le contexte où nous sommes»


La situation des relations bilatérales entre Madagascar et la Russie, vis-à-vis de la guerre en Ukraine, revient dans les discussions. Ceci, suite à la publication de l’information sur l’accord de coopération militaire russo-malgache, signé le 18 janvier à Moscou. Après son vote du 2 mars, Madagascar a encore choisi l’abstention sur une résolution présentée devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le 24 mars. Richard Randriamandrato, ministre des Affaires étrangères, apporte des explications et des précisions sur ce sujet d’actualité. Interview. L’Express de Madagascar. La signature d’un accord de coopération militaire entre la Russie et Madagascar fait débat. En quoi est-elle particulière? Richard Randriamandrato Il s’agit d’un accord de coopération militaire comme il en existe d’autres. Nous avons un accord de coopération militaire avec la France. Nous avons un accord de coopération militaire avec les États-Unis, avec l’Égypte et avec d’autres pays comme la Turquie, la Chine, l’Inde. Donc je ne vois pas en quoi cet accord de coopération militaire serait un accord susceptible de créer des problèmes d’ordre diplomatique ou autres. Avec la Russie, je rappelle qu'il y a déjà un accord de coopération militaire qui date de 2018, octobre 2018. Il a été signé par le général Béni Xavier Rasolofonirina [ancien ministre de la Défense nationale], à l’époque. Donc c’est déjà un accord qui a tout son mérite, je dirais. Et ce nouvel accord est conclu par le ministère de la Défense nationale, pour une durée de cinq ans et couvre une palette d'activités à mener ensemble comme la formation, l’assistance militaire qui relève de la défense nationale. Mais il y a le contexte de la guerre en Ukraine. Il n’y a rien de nouveau dans l’établissement d’un accord militaire. Par contre, ce qui est particulier, c’est bien sûr le contexte où nous sommes actuellement dans le monde, à savoir, la crise en Europe de l’Est, la guerre en Ukraine. Nous savons tous, ce qui s'y passe depuis quelques semaines, pour ne pas dire, bientôt plusieurs mois, avec les désastres sur le plan humain, sur le plan des infrastructures de ce pays qu’est l’Ukraine. Donc c’est vrai que le contexte peut induire en erreur l’appréciation de cet accord de coopération militaire. Pensez-bien que si nous étions dans un autre contexte, vous n’aurez certainement interprété cet accord. Sur ce point, je souhaite qu’il n’y ait pas de polémique inutile. Vous connaissez la position de notre pays au regard du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Nous restons dans la neutralité au regard de cette guerre, néanmoins, nous n’en sommes pas, pour autant, indifférent. Notamment, maintenant qu’il y a beaucoup de morts dans des villes telles que Marioupol, aux environs de Kiev ou d’autres villes principales de l’Ukraine. Il y a, bien sûr, des responsabilités de part et d'autre. Sans doute aussi, des responsabilités aussi bien du côté des pays membres de l’OTAN [Organisation du traité de l'Atlantique nord], que du côté de la Russie. Mais nous sommes loin de ces problèmes internes à l’Europe qui, malheureusement, risquent d’avoir des conséquences et des répercussions sur le plan économique en Afrique et à Madagascar, en particulier. Nous avons tout de même choisi l’abstention aux Nations Unies. Mais nous n’en sommes pas, pour autant, indifférent. Bien au contraire, nous sommes préoccupés, comme tous les pays en Afrique. Tous les Etats africains n’ont pas la même position au regard des résolutions des Nations Unies. Nous avons choisi l’abstention par rapport à la première résolution présentée par la France et le Mexique. Il y a eu une deuxième résolution présentée par l’Afrique du Sud. Nous étions invités à en être co-auteur. Elle n’a pas été discutée mais elle a, néanmoins, connu des échanges sur sa présentation et non présentation devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Il y a eu deux résolutions donc et dans la seconde résolution, Madagascar a voté pour, parce qu’il était question de sujet purement humanitaire, d’assistance humanitaire et non pas d’aspect qui relève de la géopolitique mondiale. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette deuxième résolution? C’est une résolution qui souligne particulièrement la dimension catastrophe humanitaire, à savoir que les Nations Unies devraient faciliter les aides humanitaires, en ouvrant des couloirs humanitaires, permettant une assistance humanitaire au niveau de l’Europe. Donc c’était purement humanitaire. Il n’y avait pas de considération autre que les sujets humanitaires. Et c’est cette résolution qui a été discutée, mais qui n’a pas été présentée, puisqu’une première résolution a déjà été votée avec cent-quarante voix pour, trente-huit abstentions et cinq autres qui ont voté contre. Pour cette deuxième résolution, cinquante pays ont voté pour, dont Madagascar, l’Afrique du Sud, l’Angola, la Tanzanie et bien d’autres pays encore en Afrique, la Chine. Et un nombre majoritaire de pays ont voté contre la présentation, donc il n’y a pas eu de vote pour cette deuxième résolution. C’est une version différente que nous, nous avons soutenue. Nous ne sommes pas indifférents face à ce qui se passe Ukraine, mais c’est cette dimension géopolitique, géostratégique qui met la Russie et les pays de l’OTAN face-à-face, c’est ce jeu là que nous n’avons pas voulu cautionner. Cette seconde résolution a été soumise quand? Le même que le vote de la première [le 24 mars 2022]. La première résolution a été présentée assez tard à New York et les discussions pour la présentation ou non présentation de la deuxième résolution défendue par l’Afrique du Sud, Madagascar et d’autres pays a été présentée quelques heures après. Mais ça n’a pas été voté. Le processus n’a pas abouti jusqu’au bout. Nous restons vigilants, nous restons fidèles et cohérents vis-à-vis de notre politique étrangère en général et des relations que nous entretenons avec tous les pays partenaires. «En somme, cet accord [l’accord de coopération militaire entre Madagascar et la Russie] n’a rien de particulier,» sauf que le contexte où nous sommes peut laisser à penser que ce n’est peut-être pas opportun ou c’est peut-être un peu pousser. Cela dépend de l’appréciation des uns et des autres. Pour nous à Madagascar, c’est un accord de coopération militaire comme il en existe bien d’autres. Quel est l’état de nos relations avec les autres pays, notamment, les pays occidentaux, actuellement? Nous entretenons des relations cordiales et respectueuses de l’indépendance dans l’analyse et l’appréciation de la situation qui concerne le monde en général. Ce qui est important, actuellement, c’est le respect de la souveraineté de chaque pays. Le respect de l’intégrité territoriale qui est du domaine du droit international et Madagascar n’acceptera jamais qu’il y ait une pression, d’où qu’elle vienne. Nous resterons indépendants et fiers des décisions que nous prenons au plus haut niveau de l’État. Nous avons un Chef de l’État, un chef du gouvernement, un chef de la diplomatie. Nous décidons selon notre appréciation du contexte et nous restons fidèles à notre culture, au caractère de notre peuple et à l’histoire de notre pays. Nous n’avons pas à justifier notre choix. Nous sommes un pays souverain. Nous respectons les règles du droit international et les accords de coopérations militaires quels qu’ils soient doivent, justement, aller dans ce sens. Nous n’avons pas à nous justifier. Au contraire, nous sommes là pour faire en sorte que ces coopérations puissent apporter les bénéfices que nous escomptons pour notre pays et pour les Malgaches. Comme vous l'avez dit vous-même, le contexte mondial ne risque-t-il pas d'entraîner de fâcheuses conséquences sur nos relations internationales? C’est possible, mais c’est à nous de défendre cette position. Mais une fois de plus, je souligne et je réitère qu’il s’agit d’un accord de coopération militaire comme il y en a d’autres avec la Chine, les États-Unis, la France. Vous savez que depuis 1972, puis 1973, puis 1999, nous avons renouvelé l’accord avec la France. Le dernier accord de coopération militaire date de juin 1999. Donc il n’y a vraiment pas de quoi s’alarmer, mais c’est à nous, bien entendu, de donner corps à ce qui est convenu de mener dans le cadre de cet accord. Malheureusement, c’est sorti dans les réseaux sociaux comme si c’était un événement exceptionnel. Normalement, un accord de cette nature doit rester confidentiel. Mais bon, nous vivons dans un monde assez ouvert et je ne vois pas en quoi s’en alarmer pour autant. Dans les relations entre la Russie et Madagascar ces dernières années, il y a eu le sommet Russie - Afrique, à Sotchi en octobre 2019. Le président de la République a été invité par le président Poutine, ça fait partie de la diplomatie au niveau continental. Je peux vous dire que nous avons assisté à ce sommet, tout comme nous assistons à d’autres sommets de Chefs d’Etat. Dernièrement, en Europe [sommet Europe - Arfique] où le président de la République a également été invité. Il n’y a vraiment de quoi s’en offusquer pour autant. C’est la responsabilité de nos autorités que d’entretenir de bonnes relations avec tout le monde et cela depuis des années. Actuellement, la Russie est ardemment à la recherche d'alliés. C’est probablement la raison pour laquelle, elle a rendu public une partie de cet accord. C’est possible. Quelle est notre posture, justement, vis-à-vis de la Russie. Nous constatons que l’ambassadeur russe fait le tour des ministères. Récemment, il vous a rencontré. Nous n’avons pas besoin d’ennemi dans le contexte où nous sommes. Nous avons besoin d’entretenir les alliances que nous avons avec tous ceux qui veulent aider Madagascar. Nous n’allons pas compliquer ce qui est simple. La Russie est un pays souverain. Les pays de l’Europe sont des pays souverains. Ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie est une longue histoire qui date de plusieurs années. Si vous vous souvenez, il y a cinq ans le président Poutine a déclaré que l’Ukraine risquait d’avoir des problèmes si l’OTAN continue à ne pas écouter les desiderata de Moscou. C’était il y a cinq ans. Mais plus encore, il y a une dizaine d'années, on savait déjà que la situation en Europe de l’Est avec les anciens pays du bloc de l’Union soviétique avait basculé vers l’appartenance à l’OTAN. On savait déjà à l’époque, que la diplomatie au niveau de l’Europe allait connaître des changements notoires. C’était déjà il y a plus d’une dizaine d’années. C’est pour vous dire qu’évidemment, tout cela évolue sur le long terme et non pas sur un petit laps de temps. La guerre ne date que d’il y a quelques semaines, bientôt quelques mois et c’est dommage pour le monde, puisque nous allons connaître les répercussions au niveau économique, en particulier. On parle beaucoup d’inflation au niveau mondial et c’est bien regrettable. Nous continuons à entretenir de bonnes relations avec ceux qui veulent continuer à nous aider. Voilà. Il y a des sources qui indiquent que le groupe Wagner est déjà actif à Madagascar. Est-ce vrai? Comme vous le dites vous-même, le groupe Wagner n’est pas un groupe qui existe officiellement. Je n’ai pas connaissance qu’il y ait, en tout cas, d'activités de ce groupe à Madagascar. Dans des pays du Sahel, c’est presque du domaine public de voir des coopérants russes aider les militaires, mais à Madagascar non. A ma connaissance, il n’y a pas d’existence réelle, de présence officielle ou officieuse d’ailleurs. Sur le plan moral, il y a un certain courant, actuellement, qui estime que coopérer avec la Russie est immoral. En quoi est-ce qu’une bonne coopération avec les Russes serait immorale pour nous? La Russie nous a aidés depuis des années. Lorsque Madagascar militait pour son indépendance. Madagascar faisait aussi partie des pays ayant entretenu des relations idéologiques avec beaucoup de pays, y compris la Russie. Vous savez très bien que Madagascar était un pays socialiste. Actuellement, nous sommes un pays démocratique et ouvert. Nous entretenons, une fois de plus, des relations tout à fait cordiales avec tous ceux qui veulent nous aider pour le développement de notre pays. Il n’y a rien d'immoral à cela. Ce qui risque d’être immoral, c’est lorsque nos pays partenaires basculent dans ce qui est inacceptable sur le plan du droit international. Et là, je peux vous dire que Madagascar ne sera pas de ceux qui vont soutenir ces pays aveuglément. Bien au contraire, nous allons dénoncer ce qu’il faut dénoncer dans le cadre du respect du droit international, au niveau des Nations Unies, au niveau bilatéral, au niveau du continent puisque nous travaillons aussi avec l’Union africaine pour qu’il y ait des visions communes. Ce qui n’est pas toujours facile, ni toujours le cas. Mais néanmoins, nous n’allons pas aveuglément garder des relations qui ne méritent pas de l’être. Ce qui n’est pas le cas pour le moment.
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