Pays taxi-brousse


Qui a inventé le taxi-brousse? Pas le mode de transport, mais le mot. De ses origines un peu péjoratives, il aura gagné, par une coquetterie paradoxale, ses galons d’exotisme. Elles sont loin les années 1960 où un rapport d’enquête très austère en parlait encore plus sérieusement. C’était le temps des «1000 kilos» qui, depuis Antananarivo, ralliaient les endroits les plus reculés (Ambatomanoina, Beparasy, Anosibe an’ala, Fihaonana, Miarinarivo) comme la proche banlieue (Fieferana, Ambohimalaza, Ambatomena) encore véritablement «tanindrazana» de la diaspora d’Avaradrano émigrée à Antananarivo depuis le XVIIIème siècle. Ce ne sera que plus tard que l’étranger deviendra touriste. Encore quelques années avant que celui-là même comprenne qu’il lui faut un parfum d’aventure hors des sentiers balisés de «ravinala» ou de vraies étoiles hôtelières. Entretemps, «le pays d’avenir» (titre de la conférence donnée par l’ambassadeur Louis Rakotomalala à l’Alliance française de New York en 1961) sera devenu une économie socialiste d’entreprises d’État à la santé flageolante et d’infrastructures en voie de sous-développement. Pour le tourisme un peu premium, il fallait désormais visiter l’île Maurice. Les voyageurs «sac-à-dos» alimentant avec gourmandise «Le Guide du Routard» du récit de leurs menus désagréments comme de leurs gros calvaire à Madagascar: une banque de données qui nourrira longtemps la légende d’une île-continent qu’on aurait pensé uniquement peuplé de millions de zébus contemplatifs et de mignons lémuriens à contempler. Le tourisme «authentique», celui qui se veut à la rencontre du pays profond, commence immanquablement par une immersion en taxi-brousse et le tour des gargotes le long des routes nationales. Attraper la tourista, pour une huile de friture avariée au bout d’une semaine d’usage intensif, en devenait presque une médaille d’ancien combattant. La témérité n’allant tout de même pas jusqu’à se passer des bouteilles d’Eau Vive, safe à défaut d’être fun. Safe à défaut d’être fun: c’est maintenant devenu le cas des transports type «VIP» ou «Premium» d’une coopérative comme SoaTrans entre Antananarivo et Antsirabe. Aller et retour, ils assurent un professionnalisme inconnu de l’époque aventureuse des «bâchés» 404 et des «familiales» 504 ou des «Super Goélette». Je serais curieux de voir les prochains tee-shirts «Baobab» ou «Carambole» à l’effigie des très modernes Mercedes Sprinter ou VW Crafter sinon Hyundai Starex. Réserver par téléphone, ne pas attendre indéfiniment sur le parking encombré d’une gare routière poussiéreuse, partir à l’heure et arriver à temps. Le b-a, ba mais qui demeure un petit luxe chez nous, alors que le standard est tellement banal depuis si longtemps ailleurs, pour ne citer que mes voyages entre Baltimore et New York ou Londres et La Haye : à une époque, sans téléphone portable ni Internet, mais qui n’avait rien d’héroïque puisque tout était normalisé, basiquement «manara-penitra». Toujours plus loin de cette image «taxi-brousse», il suffirait d’un rien pour franchir un gap supplémentaire de qualité de service. Un primus propret dans la cour d’un endroit aussi coquet que celui du terminus à Antsirabe, par exemple. Institutionnaliser l’appel des voyageurs par leur nom de famille et non de vulgaires prénoms. Systématiser le partenariat avec une station service, comme celle de Shell à Ambatolampy, dont la moindre prévenance est d’offrir des toilettes dignes de ce nom: propres, inodores et qui ferment. Oui, nous sommes bien en 2022, mais que voulez vous, les latrines malgaches demeurent un souci d’actualité aussi bien pour le PNUD que pour la Banque mondiale. C’est pourquoi la question des WC compte double dans l’indice de satisfaction. Se soulager aux normes du XXIème siècle sans appréhension «taxi-brousse» au prétexte que des «101» seraient furieusement exotiques. Expérience globalement satisfaisante donc. Même quand ils ont dû téléphoner à chaque voyageur pour un départ anticipé parce que le Gouvernement malgache aurait un peu dramatisé le principe de précaution à l’approche du cyclone Batsirai. Finalement, si je ne devais pas emprunter trop souvent ce mode de transport, désormais moderne, ce serait pour la playlist des chauffeurs: hormis l’épisode d’inadvertance où ils ont envoyé la bande-annonce de «Coup de foudre à Notting Hill», le choix oscillait entre gala évangélique et clip «couleur tropicale». Ni «premium» comme genre musical, ni «VIP» avec le volume trop bruyant. Un reste de «taxi-brousse», en somme.
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