Pierre de Chevigné s’élève contre l’injustice


Dans la première partie de son discours d’ouverture de la session de l’Assemblée représentative du 31 mars 1948, le haut-commissaire de la République française à Madagascar et Dépendances aborde la nécessité d’une hausse généralisée des prix. Il propose des solutions sociales à apporter pour en atténuer les conséquences sur les travailleurs du privé et les agents de l’État, toutes catégories confondues (lire précédente Note). Des problèmes qui, fait-il remarquer, « si l’on ajoute la pénurie de logements », se résument à une difficulté de production ou d’approvisionnements des produits industriels, dont la fabrication nécessite de développer les moyens techniques. Pour ce qui est des productions locales, les perspectives lui apparaissent, en général, assez favorables, sauf pour le riz. Mais ce problème est en voie de se résoudre. En effet, selon le haut-commissaire, la commercialisation de ce produit de première nécessité commence à s’effectuer et plusieurs milliers de tonnes sont proposées au service du ravitaillement à des cours inférieurs à l’ancienne taxation. Seule la difficulté de transport retarde encore, dans les villes, l’écrasement du cours de marché noir par la mise en vente de ces tonnages massifs. Des arrivages sont aussi attendus de l’Inde et de Chine, ce qui permettra de constituer un important stock de sécurité. « Il servira à l’avenir à empêcher que dans les villes, il soit possible de spéculer sur la faim. » Le haut-commissaire met en exergue qu’en fait, c’est surtout dans le domaine des matières premières et des objets manufacturés importés que la situation restera précaire pendant encore plusieurs mois. « Je me suis élevé, avec vigueur, auprès des départements ministériels intéressés, contre l’insuffisance des attributions qui nous sont faites et leur injustice par rapport à d’autres Territoires. » Mais il a bon espoir de réussir à la faveur d’une conjoncture économique plus favorable. En attendant, Madagascar doit s’organiser car, à ces perspectives d’importation, doit correspondre à un intense effort de production, de prospection des débouchés, de présentation et d’amélioration de la quantité et de la qualité des marchandises. À ce propos, la première préoccupation de Pierre de Chevigné est celle de la main-d’œuvre, problème qui conditionne la vie économique de l’ile. Dans nombre de régions de l’ile, la crise de la main-d’œuvre est aigüe et dans quelques-unes, la situation est même chaotique. Il rejette, de prime abord, le rétablissement d’un vaste et inhumain système de coercition généralisé. « Le travail forcé et la réquisition que l’ile a connus dans certaines périodes de son passé et qui peuvent se justifier dans des périodes exceptionnelles, ne seraient pas admissibles aujourd’hui et je ne les admettrai pas. » En revanche, le peuple malgache devra comprendre que « seul le travail est générateur de mieux-être et de progrès ». L’Admi­nistration aura à l’encourager dans cette voie en favorisant, par tous les moyens, les citoyens productifs, en veillant à ce que les contrats soient respectés tant du côté des employeurs que des employés, en exigeant que les efforts soient profitables à l’intérêt public. « Ces efforts que l’on exige dans la Métropole des citoyens français, doivent être également fournis par les citoyens de Madagascar. » Parallèlement, les organismes commerciaux ou de producteurs doivent cesser leurs « rivalités stériles » pour ne voir que leurs intérêts communs et en finir avec cette dispersion des efforts. « Il est des produits dont les cours sont sur le point de s’effondrer par suite de l’anarchie et de l’indiscipline. Il est nombre de nos richesses qui sont dépréciées sur les marchés mondiaux à cause d’une normalisation insuffisante ou un conditionnement défectueux. » Toujours dans le domaine du commerce extérieur, dans l’immédiat le problème des devises reste la « grosse préoccupation » de Pierre de Chevigné. Il proteste contre l’injustice subie par Madagascar qui ne bénéficie pas de la nouvelle législation française sur le marché libre du dollar et de l’escudo. « Le statut actuel risque de dériver en transit vers la France des marchandises que nous pourrions vendre sur l’étranger. » De plus, d’après le haut-commissaire, il est indispensable de préciser la façon et la mesure dans lesquelles l’ile pourra disposer des produits de ses exportations et quels contingents supplémentaires de devises lui seront alloués. Et de conclure qu’il souhaite un régime où Madagascar dispose de ses ventes sur l’extérieur et où le règlement du solde de la balance commerciale malgache avec la France se ferait en devises. « Ainsi, la France bénéficierait de notre production sans que nos intérêts en soient lésés. »
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