« Toutes les dimensions d’un projet minier doivent être claires »


Fidiniavo Ravokatra - Ministre des Mines et des ressources stratégiques depuis janvier 2019 Quelle est la décision du ministère concernant la demande de la société Amba­tovy  de rouvrir ses usines? Quatre cent cinquante entreprises y sont rattachées, et quelque trois mille emplois en jeu. La société Ambatovy a été mise en quarantaine sur instruction présidentielle pour cause de nombre élevé de cas positifs. Le 5 juillet, la compagnie a émis une lettre de demande de levée de quarantaine car aucun cas positif n’est déclaré en quatre semaines. Je me suis entretenu avec l’ambassadeur du Japon à propos d’une éventuelle reprise des activités d’Ambatovy. Le département que je dirige ne posera point de mesures anti-économiques, mais plutôt et surtout des mesures sanitaires à voir avec la compagnie. La suspension des activités a été levée le 13 juillet. Un planning de reprise des activités est attendu de sa part, notamment sur la préparation des usines, le retour des salariés et surtout les mesures sanitaires à mettre en place. Où en est l’audit promis par l’État au mois de novembre pour éclaircir la situation de QMM? Les ressources nous appartiennent, mais c’est nous qui payons des dettes. La troisième demande de recapitalisation de QMM n’est pas supportable par l’État qui ne compte pas et ne peut pas payer les 92 millions de dollars de recapitalisations, dont 77 millions de dollars ont déjà été avancés par l’actionnaire Rio Tinto. L’État demande ainsi un audit des comptes, un audit des investissements ainsi qu’un audit organisationnel de la société QMM. L’objectif est aussi de connaître les retombées économiques de l’exploitation minière sur la vie économique et sociale du pays depuis ces vingt et un ans. La convention d’établissement entre Rio Tinto et l’État malgache passera en révision en 2022. Cette convention souligne que la part de Madagascar de 20% reste non diluable. Mais nous n’avons jamais consulté la comptabilité alors que des fonds importants ont toujours été injectés. Aussi, est-il grand temps de le faire. Un appel d’offres international a déjà été lancé. Le délai du processus de l’audit a été rallongé vu que si des cabinets internationaux ou des consortiums postulent, ils seront obligés de se présenter à Madagascar pour évaluer leurs tâches. L’État a-t-il également demandé des comptes à la société Base Toliara depuis sa suspension? Où en est la situation actuellement? Les études de faisabilité du projet Ranobe de Base Toliara n’étaient pas claires. Quelle quantité de production? Quelles infrastructures? Quelle estimation de coûts, de bénéfices, de recettes fiscales et quelles approches sociales et environnementales propose la compagnie? Le document sur ces études de faisabilité a été envoyé par Base Toliara au mois de janvier. Il revient au ministère d’analyser les opportunités de reprise de cette activité minière dans le Sud-ouest. Il faut savoir que la pandémie impacte les prises de décision. Comme point d’avancement depuis sa suspension, il est demandé à Base Toliara de faire un planning de mise à jour du document qui tient compte de nouveaux contextes dus à la pandémie du coronavirus. Mon département souhaite avoir une visibilité dans tout engagement dans un projet pour l’intérêt supérieur de la nation. Le cas de Kraoma est-il un problème structurel ou de gestion? Le partenariat avec les Russes est pour le moment sans issue. Quels ont été les engagements techniques et financiers de Ferrum Mining ? Une rupture définitive est, en effet, l’idéal mais plusieurs paramètres restent à analyser. Eux mêmes ne sont pas en mesure de donner des réponses par rapport à ce qu’ils veulent pour boucler définitivement cette rupture de partenariat. Les salariés, le Conseil d’administration et les dirigeants de Kraoma ont déjà envoyé un plan de relance sur ses ressources propres internes. Travailler avec de nouveaux partenaires s’avère risqué vu les dettes cumulées et les pertes financières engendrées. Toujours est-il que tout éventuel engagement avec un nouveau partenaire devra passer avec l’aval du CA et non seulement sur le bon vouloir des dirigeants de Kraoma. Il est actuellement demandé au CA une orientation stratégique et une ou des pistes d’issue à cette crise. Je souligne également qu’en tant que société anonyme, elle est sous tutelle technique du ministère des Mines et des ressources stratégiques, et sous tutelle financier de celui de l’Économie et des finances. Le CA comprend des représentants de ces deux départements et de la Présidence. Quelle sont les grandes lignes de la politique minière de Madagascar? Les ressources minières constituent le pilier de la relance économique et de l’émergence de Madagascar. Nous sommes un pays à vocation minière. Mais toutes les dimensions d’un projet doivent être claires. J’adhère à la prise en compte de la population locale et de son environnement, mais en parallèle, il y a aussi exploitation et bénéfice économique. À quel stade se trouve aujourd’hui la révision du Code minier, garant de la bonne marche de la politique minière du pays? L’État n’abandonne pas ! Les actions de toutes les parties prenantes sont en bonne voie. Un comité regroupant les représentants des Grandes mines, des Petites mines, de l’Administration, de la Société civile et du Syndicat se sont déjà penchés sur cette révision du Code minier depuis le début de l’année. Des propositions ont déjà été reçues. Il reste à compiler toutes les idées, dont le moment propice dépendra de l’évolution de la covid-19.

La chromite ingérable

La société Kraoma (Kraomita Malagasy) est nationalisée depuis 1975 et produit du chrome concentré à 46% à raison de 250 000 tonnes par an. Elle est détenue à 97,17% par l’État et à 2,83% par le personnel. L’écroulement de la société d’État est souligné ces cinq dernières années. La société minière est en arrêt d’activités depuis juillet 2019. En 2018, les dirigeants d’alors ont contracté un partenariat quelque peu douteux. Une joint-venture sans appel d’offres avec une société russe « Ferrum Mining », a donné naissance à « Kraoma Mining S.A ». Le partenariat signé en août 2018 accorde 70% du capital à Ferrum Mining. Seize millions de dollars d’investissement par les Russes ont été annoncés. L’actuel directeur général hérite quelque peu d’une patate chaude: un lourd passif de 101 milliards d’ariary et quelque 39 milliards d’ariary de pertes enregistrées entre 2015 et 2018. « L’exploitation de la chromite ayant fait la fierté des Malgaches depuis cinquante ans doit continuer. La production a cessé depuis des mois alors que la société n’obtient pas de bénéfices et fait face à d’importantes dettes. La recherche de partenariat s’avère ainsi l’une des solutions trouvées pour sauver Kraoma », avait déclaré Nirina Rakotomanantsoa, directeur général, nommé depuis janvier 2019, à l’annonce officielle d’entrée en actions majoritaires des Russes, le 26 mars 2019. Communication unilatérale Cette décision de reprise à 80% par les Russes n’a jamais été claire pour les salariés qui multiplient les apparitions médiatiques pour dénoncer la non transparence et « la mauvaise gestion » de la société par les actuels dirigeants. Quelles sont les différentes clauses du contrat de joint-venture? Trois millions de chromite sont censées être produites avec les Russes. Mais il n’y eut pas de production. En décembre 2019, le contrat est rompu unilatéralement par les Russes. Des salariés révèlent l’existence de partenariat secret entre les dirigeants et des exploitants étrangers dans les carrés miniers de Kraoma dans le nord du pays, alors que Kraoma agonise. Outre le récurrent problème de salaires impayés, le personnel demande à redémarrer Kraoma, sans l’aide d’un quelconque partenariat. Le conseil d’administration de la société ne s’est jamais prononcé sur l’affaire. Les informations émanent principalement du personnel. Entre janvier et mai 2020, sept salariés du site de Brieville trouvent la mort pour cause de maladie. Les conditions sociales sont catastrophiques car il n’y a plus de prise en charge sociale, plus de médicaments dans le dispensaire de la société, plus d’électricité. Ils sont décédés pour cause de forte fièvre et de paludisme. Faute de moyens, il n’a pas été possible de rapatrier les corps des défunts.

Des recettes importantes

Ambatovy reste la seule grande compagnie minière « en forme » vis-à-vis de l’administration. Les redevances et ristournes de la compagnie constituent 77% des redevances et ristournes issues des activités minières du pays. La compagnie Ambatovy est également la seule régie par la Loi sur les grands investissements miniers (LGIM). Elle suit un régime spécial en matière juridique, de change, fiscalité et douanière avec un ratio des fonds empruntés aux fonds propres de 75%-25%, et une garantie de stabilité pour un investissement supérieur à 50 milliards d’ariary. L’investissement total d’Ambatovy s’élève à 8 milliards de dollars (le PIB de Madagascar en 2018 était de 13,85 milliards de dollars. Source: Banque Mondiale). Le projet d’exploitation de nickel et de cobalt d’Ambatovy se trouve être le plus important investissement étranger jamais réalisé à Madagascar et l’un des plus grands en Afrique subsaharienne et dans la région océan Indien. La production annuelle avant Covid-19, est envisagée atteindre 60 000 tonnes de nickel raffiné, 5 600 tonnes de cobalt raffiné et 210 000 tonnes d’engrais sous forme de sulfate d’ammonium pendant au moins vingt neuf ans.

Une société civile à l’affût

Le processus de révision par démarche participative du Code minier a été estompé par la covid-19. La reprise des travaux de commissions devait être notifiée au comité de révision du Code minier depuis le mois de juin, mais a été reportée pour cause de conditions sanitaires inappropriées. Le collège des Organisations de la société civile (OSC) au sein du comité de révision du Code minier a remis les propositions d’amélioration du Code au ministère des Mines et des ressources stratégiques au mois de mars. L’Organisation de la société civile pour les industries extractives (OSCIE) a négocié le dégel des permis miniers depuis 2019. Elle dénonce des permis d’exploitation octroyés à des compagnies étrangères, « Ruby Red » (2017) et « Madagascar Nickel Fields » (2018). « Des demandes accordées malgré la suspension de délivrance des permis, en raison d’un « mouvement de permis, donc une opération de transformation » comme explication officielle. Alors que de nombreuses demandes de transformation de permis sont en souffrance depuis 2012. Les risques de favoritisme dans la prise de décision publique sont réels » révèle l’OSCIE. Critiques… constructives  Cette dernière remet également en question le caractère légal du permis d’exploitation de la compagnie Base Toliara, délivrée durant la période de Transition (2012). Quant à la suspension, l’OSCIE interpelle sur le fait que la mise en œuvre de la décision de suspension n’est pas effective à défaut d’une note d’application, « car il y a une confusion entre le projet d’exploitation en question et la compagnie minière. Base Toliara a fait don de matériel pour le CCO de Toliara et l’action a été médiatisée » explique encore l’OSCIE. Les raisons de la suspension sont-elles résolues, le dialogue entre les parties prenantes est-il instauré? Elle recommande la prise en compte des réalités locales et non seulement des retombées basées sur les théories macroéconomiques. Pour Kraoma, l’OSCIE voit une privatisation « illégale et déguisée » de patrimoine national. Est-ce une problématique structurelle ou de gestion? Les nouvelles nominations de 2019 ont-elles permis de dénouer la crise? La société civile appelle les dirigeants à protéger les droits fondamentaux des salariés et à donner une image de transparence de la société. Sur la question de recapitalisation, l’organisation se demande si avoir une part de production dans toute production minière est-il bénéfique pour Madagascar où la capacité institutionnelle en matière de contrôle d’évasion fiscale est faible. « Sachant que l’État est représenté par l’OMNIS dans le conseil d’administration, ne devait-il pas connaître le surendettement de l’État dans ces opérations de recapitalisation. Il y a une défaillance de communication entre le représentant de l’État, le CA et le gouvernement », conclut l’OSCIE.
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