Yvette Sylla : « Le pape va conforter notre sentiment de fierté »


Dans un contexte religieux et plus solennel, la visite du pape François devrait raviver la liesse et l’élan national enflammés par les Barea. Dans cet entretien accordé, lundi, Yvette Sylla, coordonnateur général de la commission présidentielle en charge de la visite papale, parle de capitalisation, de traduction en acte du message du SaintPère, afin d’éviter que cette flamme ne s’étiole. • Quelle est la signification de cette visite pontificale ? - Il y a deux significations. Il s’agit d’abord d’un voyage apostolique, mais au-delà, c’est aussi un voyage d’État d’une portée diplomatique très importante. C’est la raison pour laquelle le président de la République s’est personnellement impliqué dans l’organisation de cette visite, notamment, par la mise en place d’une commission qu’il pilote lui-même et en suivant l’évolution des chantiers sur terrain, tel qu’à Soamandrakizay. • Que nous apportera cet événement ? - Le Président est arrivé au pouvoir avec un projet qu’est l’Initiative pour l’émergence de Madagascar (IEM). Dans notre ambition de devenir un pays émergent, cette visite marque que la Grande île est pleinement réintégrée dans le concert des nations. Elle est, également, importante pour la visibilité du pays. Un indicateur important de l’émergence est, lorsqu’une nation démontre une capacité organisationnelle et disciplinaire dans les préparatifs de grands événements tels que l’accueil du pape. • A contrario, ne signifierait-il pas que Madagascar est toujours, considéré comme un pays vulnérable ? Porter un message de réconfort face à la pauvreté est, justement, l’une des raisons avancée à ce voyage. - Au contraire, ce sera l’occasion de démontrer que malgré les difficultés, nous sommes capables de faire de grandes choses. Nous allons montrer une autre image de Madagascar. Démontrer que nous avons de l’ambition, que nous voulons sortir de cette pauvreté. Si le pape a choisi de venir à Madagascar, c’est aussi, pour nous encourager, d’aller de l’avant. Il est important que nous montrions à la face du monde que nous sommes un pays capable. Il faut gommer cette habitude de toujours présenter la Grande île sous un angle misérabiliste. Démontrons que nous avons beaucoup d’autres choses à proposer. • Le Saint-Père va, certainement, adresser un message à la nation. Q u e pourrait-on attendre du discours papal ? - Madagascar attend beaucoup de ce voyage, de son message puisque le pays et l’église catholique partagent une convergence d’idée. J’ai évoqué notre ambition de faire partie des pays émergents. Nous nous situons donc dans une perspective à long terme, en misant sur des projets d’avenir. La Grande île et l’église donc, sont dans une dynamique d’anticipation au sujet du développement. L’église démontre, en effet, une conviction prophétique. Dans l’encyclique « Laudato Si’ », qui signifie, « Loué soistu », le pape François nous exhorte à un développement intégral de l’homme. • Qu’est-ce que cela signifie ? - Cela veut dire que nous devons voir toutes les dimensions humaines. Réhabiliter l’homme, dans toute sa dignité si on veut affronter les grands problèmes du moment. L’IEM veut, également développer le pays en mettant au centre des actions « les hommes ». Le développement des hommes est incontournable donc, il y a une convergence de point de vue entre le Vatican et Madagascar. Ça signifie donc, que nous Malgaches sommes appelés à essayer de trouver un langage commun qui nous permettra d’affronter les difficultés du temps présent. • Sur la base des déclarations de la Conférence des évêques de Madagascar (CEM), depuis plusieurs années, ne faudrait-il pas, plutôt, s’attendre à un sévère rappel à l’ordre par le souverain pontife ? - Non, le pape ne fait pas de rappel à l’ordre. Il nous rappelle juste des vérités fondamentales qui doivent être appliquées dans notre existence. Je ne sais pas quelle sera la teneur de son message, mais il pourrait, par exemple, parler de bien commun. Il va, probablement, nous rappeler la nécessité de respecter le bien commun, avec une attention préférentielle pour les pauvres. Il pourrait, également, parler de partage équitable des richesses. Il s’agit de vérités premières qui sont issues de l’enseignement social de l’église. Il vient en « Raiamandreny », pour essayer de voir dans quelle mesure, il peut aider à panser nos blessures. • Qu’entendez-vous par « panser nos blessures » ? - Je dis cela puisque le pays et la population ont traversé des moments difficiles, depuis plusieurs années. L’heure est venue d’essayer de transcender nos divergences, de faire en sorte qu’une certaine harmonie règne dans notre pays, de remettre les pendules à l’heure. Nous avons, également, d’autres grands défis à relever. Ce sont les défis de l’humanité face aux problèmes mondiaux. • Ces valeurs, les évêques les ont martelées depuis plusieurs années. Seulement, ils ont toujours prêché dans le désert. Comment alors capitaliser, traduire en acte le message papal ? - C’est important, effectivement, de s’interroger sur la manière de passer d’un message en apparence théorique, à une situation pratique. Je pense qu’il faudra d’abord pérenniser le message du pape. C’est une condition à la capitalisation. Quant à la traduction en acte, l’État pourra l’intégrer à ses grandes réalisations. Il y a l’IEM et les engagements présidentiels. On pourrait retrouver à l’intérieur des actions étatiques, les valeurs que le SaintPère va véhiculer. C’est dans cet esprit qu’il faudra interpréter ce voyage pontifical. Pour capitaliser cet événement, il faudra décliner son message, en action à travers des projets concrets. • Face au recul du sens moral dans le pays, que pourrait apporter cette visite du Saint-Père ? - Il faut savoir que s’il y a une institution qui a véritablement une expertise en matière de moral, c’est bien l’église. Vous dites qu’à Madagascar, la morale se décompose. C’est vrai qu’on parle beaucoup d’un redressement nécessaire des mentalités. Et bien, c’est ce à quoi le souverain pontife nous exhorte, justement. Le pape va arriver en semeur de paix et d’espérance. • Pourquoi avoir choisi cette expression, justement, dans les campagnes annonçant le voyage apostolique ? - Elle tient compte des enjeux internationaux. Avec le développement des nouvelles technologies, ou le problème du changement climatique, plusieurs changements qui s’opèrent. Nous devons nous y adapter. Il y a, également, les objectifs de développement durable qui doivent nous faire réfléchir sur, comment chacun, à son modeste niveau, va pouvoir apporter sa contribution. C’est pour cela que le pape, dans son encyclique, nous parle de développement intégral de l’homme. Il exhorte au respect de la dignité humaine, d’une part, mais également, à prendre conscience de cet environnement dans lequel il évolue que ce soit politique, social et économique. En somme, il nous exhorte à bouger. • Qu’est-ce que cela implique ? - Ça implique qu’il exhorte tout un chacun à faire des efforts pour face aux problèmes actuels. Il nous dit, également, qu’il ne faut pas avoir peur d’avancer, il ne faut pas être inquiet. Ce qui est très important, également, c’est que pour vaincre nos peurs, il faut bouger, s’accepter et essayer de faire mieux. • Je reviens à la question de la capitalisation. Comment allons-nous capitaliser cette dynamique que le pape voudrait impulser ? Le pape viendra avec un message fort pour éveiller les consciences. Il faudrait intégrer son message dans la politique étatique. Ensuite, trouver les déclinaisons de ce message dans les actions concrètes. Il faudra faire en sorte que le registre moral et religieux trouve un écho dans les réalisations concrètes. Il n’y aura pas de miracle, cependant. Il faudra travailler. • Sur un autre sujet, où en sommes-nous dans les préparatifs. Plusieurs rues sont encore, en chantier. Serions-nous prêt à temps ? - Nous serons prêts à temps pour tout ce qui concerne le voyage du pape. Maintenant, réjouissons-nous qu’il y ait beaucoup de chantier, puisque nous sommes en train d’embellir la capitale. À mon avis, les rues qu’empruntera le souverain pontife seront prêtes. Pour les autres, nous mènerons les travaux à terme. L’un des points positifs de ce voyage papal est qu’il nous réveille. La ville prend un autre aspect, le pays est en effervescence. Ce qu’on voudrait c’est que cette visite du Saint-Père soit une belle fête religieuse, une joie pour tout un chacun, parce que personne ne sera exclu. C’est un aspect, aussi, du dialogue des religions. Tout le monde sera le bienvenu, parce que l’église, au sens large du terme, c’est l’humanité. • Quand vous parlez de réveil, plusieurs secteurs sont, effectivement, en ébullition. Il y a les travaux publics, la sécurité, même l’économie. Au-delà de l’événement, comment pourrait-on maintenir le pays en éveil ? - Je pense que tout a commencé avec les Barea. Ils ont réussi un pari extraordinaire et ont fait renaître une fierté nationale en nous. Maintenant, le pape va venir. Cela va renforcer ce sentiment de fierté. Toutes nos actions devront être motivées par cette fierté, doivent converger à constamment attiser cette fierté et susciter des ambitions. C’est un effort de tous les jours, un effort individuel, mais aussi, un effort collectif.
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