Association d’idées


Les associations d’idées sont comme les rêves : baroques. Tout part d’un banal passage devant l’ambassade de Libye, à Ampandrana, sur la route circulaire. Avant que Didier Ratsiraka s’entiche de Mouamar Kadhafi, je ne connaissais de la Libye qu’ El-Alamein, où l’Afrikakorps de Rommel fut stoppé à une centaine de kilomètres d’Alexandrie, où les Alliés, paniqués, avaient déjà commencé à brûler les documents top secrets. Je m’égare, mais nous voilà bien en Égypte. Ce pays qui a toujours eu un problème à appréhender l’Afrique, comme confesse un de ses éminents fils, Boutros Boutros Ghali. Si, tel un marronnier, l’idée de Pharaons noirs (la 25ème dynastie) venus du Soudan revient chaque saison, il n’en demeure pas moins que Netflix fait actuellement scandale auprès de milliers d’Égyptiens qui accusent la plateforme d’excès de zèle afrocentriste. La raison ? Dans un documentaire à venir (10 mai), le rôle de Cléopâtre (69-30 avant J.-C.) a été confié à une actrice afro-américaine, Adele James. Zahi Hawass, archéologue et ancien ministre égyptien des antiquités, dénonce carrément une «falsification de l’histoire». Je poursuis mon association d’idées assez baroque alors qu’un énième affrontement à Jérusalem, début avril, allait une fois de plus embraser la région du Proche-Orient. Dans «Le Chemin de Jérusalem» (Fayard, 1997), Boutros Boutros Ghali raconte comment il occupa ses pensées pendant que le président égyptien Anouar el-Sadate et sa délégation priait à la mosquée Al-aqsa de Jérusalem : vingt-six ans plus tôt, en 1951, le roi Abdallah de Jordanie y avait été assassiné par un Palestinien l’accusant de collaborer avec Israël ; ce dimanche 20 novembre 1977, des milliers d’autres Palestiniens se tenaient devant la mosquée pour protester contre la visite de Sadate en Israël et à Jérusalem. Moins d’un mois plus tôt, Boutros Boutros Ghali avait été nommé Ministre d’État des Affaires étrangères : dans l’organisation égyptienne de l’époque, le Ministre d’État s’occupait de problèmes diplomatiques spécifiques confiés par le Président de la République tandis que le Ministre des Affaires étrangères administrait des questions plus globales. Son témoignage de ces années 1977-1978 est particulier parce qu’il émane d’un Arabe, de religion copte chrétienne, dont l’épouse est juive. Ainsi, il raconte ses souvenirs de sa mère se préparant pour le pèlerinage du Caire à Jérusalem, «un pèlerinage aussi important pour un copte que le hadj pour un musulman» (pp. 30-31). Mais, son appréhension d’une perte définitive de Jérusalem est celle d’un Arabe, inquiétude que peuvent partager d’autres Arabes sans nécessairement les outrances des arabo-islamistes. En novembre 1977, Sadate avait décidé de prendre la parole devant la Knesset, le parlement israélien, pour sortir de l’impasse diplomatique et asséner un choc psychologique. Pendant que Sadate se rendait à Jérusalem pour faire bouger les lignes, Madagascar aimait à s’afficher comme progressiste : ce groupe de pays avec le Bénin, la Libye et l’Algérie, que Boutros Boutros Ghali qualifie d’agressifs et provocateurs. Au contraire des alliés modérés de l’Égypte, comme le Sénégal ou l’île Maurice. La rupture avec Israël (1972-1975) ouvrira Madagascar aux capitaux arabes, dans ces années 1976-1977 de nationalisation du secteur pétrolier : Banque arabe de développement économique en Afrique (1250 millions FMG dans un projet routier, intérêts dans le barrage d’Andekaleka), Fonds koweitien pour le développement (créé en décembre 1961, apport de capitaux dans la société de pêcherie FAMAKO et 1650 millions FMG pour la construction de la route Fénérive-Soanierana-Ivongo), Fonds saoudien (créé en septembre 1974, participe au montage financier multinational pour la construction du barrage hydro-électrique d’Andekaleka : une station hydrométrique dite Rogez-Andekaleka, était active depuis 1928, sur la rivière Vohitra), Fonds de l’OPEP pour le développement international (créé en août 1976, apporte 775 millions de FMG de soutien à la balance des paiements en janvier 1977), prêt libyen de 3 millions de dollars en février 1977. Le 6 octobre 1981, Anouar el-Sadate, le premier dirigeant arabe à reconnaître Israël, sera tué en assistant à un défilé militaire. Pour avoir voulu faire bouger une nouvelle fois les lignes, le Premier Ministre israélien Itzhak Rabin sera à son tour assassiné, le 5 novembre 1995. Le professeur Boutros Boutros-Ghali (1922-2016) était membre de l’Académie malgache. Il fit trois voyages à Madagascar : en 1974, en tant que membre de la Commission internationale des juristes ; en 1987, pour son admission à l’Académie malgache ; et le dernier du temps où il était Secrétaire Général de la Francophonie. Il aurait pu nous prodiguer de vive voix cette leçon de neutralisme : «Les États faibles cherchent à employer la neutralité pour leur propre protection. Les États forts, au contraire, y voient souvent un témoignage d’hostilité. Il est extrêmement difficile de rester effectivement neutre. Mais, il est possible de se servir de la neutralité habilement et avec succès, comme les États-Unis ont su le faire à divers moments de leur histoire».
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