Le goliath baccalauréat terrassé par Covid


Il était donc 11 heures françaises, ce vendredi 3 avril 2020. le ministre français de l’Éducation nationale officialisait la notation du bac 2020 en contrôle continu, dans l’impossibilité de maintenir la tenue d’épreuves écrites au regard des conditions sanitaires dues à l’épidémie de coronavirus. Sans que ce soit solennellement affiché, voilà 88% des lycéens 2020 du système français, bacheliers ! «Le bac 2020 sera-t-il un bac au rabais ?» s’interrogèrent aussitôt les uns et les autres. «Ce sera un véritable baccalauréat», essaya de rassurer le Ministre. Un diplôme seulement accessible à 10% d’une classe d’âge en 1958, obtenu par 61,7% des candidats en 1967, n’était-il déjà pas trop démocratique avant mai 68 ? Cette année-là, 1968, la Suède supprimait le baccalauréat au profit d’un contrôle continu sur les deux dernières années de l’Enseignement secondaire, tandis que la France «donnait» le bac : 81,3% ! Un taux qui ne sera «égalé» qu’en 2006 avec, depuis, une remarquable constance : toujours 88% et des poussières depuis 2004 jusqu’en 2019 ; progression constante de 83 à 87% entre 2007 et 2013. En 1967, seulement 32% des bacheliers obtenaient une mention au bac. Cinquante ans plus tard, 47,3% des candidats obtenaient une mention dont 29,9% de mention «Bien» ou «Très Bien». Un ancien président de l’Université Paris-Sorbonne est catégorique : «le bac est offert sur un plateau à plus des trois quarts des jeunes Français». Un autre enseignant déplore que «les étudiants obtiennent leur diplôme par un jeu d’options et de matières facultatives, de calculs stratégiques en fonction des coefficients par matière» (Capital, 18 juin 2018). Quand, par la loi Jospin de 1989, la politique officielle est d’amener «80% d’une génération au niveau du bac», s’agit-il de hisser les élèves à l’excellence, supposée, du baccalauréat ou a-ton ployé le bac pour le mettre à la portée du plus grand nombre ? Régulièrement, on évoque la réforme du «baccalauréat devenu à la fois un monstre d’organisation, coûteux et chronophage, et une porte d’entrée inadaptée aux études supérieures» (le Monde 11 février 2020) : de fait, à quoi sert 88,1% de réussite, comme en 2019, si 6 étudiants sur 10 ne passent pas en deuxième année à l’Université ? En 2004, une réforme proposait de réduire à six les matières pour le baccalauréat et de soumettre six autres au contrôle continu. les lycéens étaient descendus dans la rue en dénonçant une «éducation au rabais»... «Le baccalauréat a perdu de sa superbe. Il ne parvient plus à remplir ses objectifs de démocratisation sociale. Le diplôme est également dévalué car il n’est plus le sésame convoité pour les grandes filières de l’enseignement supérieur. Autre zone d’ombre : le prestige d’un bac se mesure trop souvent à l’aune de l’établissement du candidat, les grands lycées parisiens sélectionnant farouchement les élèves» (les Échos, 10 juin 2004). Il y a déjà cinquante ans, un président français avait soulevé l’ambiguïté de la fonction assignée au baccalauréat : «Ou bien c’est un examen d’enseignement supérieur qui vous ouvre toutes grandes les portes des facultés, alors, il faut évidemment qu’il constitue une sélection. Si, par contre, on considère que l’enseignement supérieur doit assurer lui-même son recrutement, alors le baccalauréat peut devenir un simple certificat des études secondaires. Sans plus» (Georges Pompidou, Albi, 6 avril 1970). Monument de l’imaginaire collectif et clé de voûte du système d’enseignement français, le baccalauréat avait été créé par Napoléon le 17 mars 1808. Sa réforme a emporté plusieurs ministres de l’Éducation en France. Cette année, le contrôle continu s’est imposé par défaut. Il aura fallu Covid-19 pour dompter le baccalauréat. Mais, il en restera pour dénoncer les inégalités dans le contrôle continu. À leurs yeux, le rite de passage est d’abord un symbole républicain : un baccalauréat national, avec le même examen, à la même heure, partout et pour tout le monde. Un bac anonyme et commun : l’égalité des chances par excellence. En France, comme à Madagascar, ce rite de passage s’ouvre «traditionnellement» par la philosophie. Instaurées en 1968 en France, les séries perdurent à Madagascar : A (Philosophie-lettres), C (Mathématiques et sciences physiques), D (Mathématiques et sciences de la nature), sans que fussent retenues les séries E (Mathématiques et technique) et B (Économique et social). Nous ne nous sommes plus posés de questions depuis cinquante ans.
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