Pour sa contribution au Spécial de la revue de l’École nationale supérieure agronomique Terre malgache- Tany malagasy (N°14, déc. 1972-janv. 1973), sur l’élevage et les animaux domestiques, Achilson Randrianjafizanaka a choisi le thème des vols de bœufs. Ce qui l’amène à évoquer la « civilisation du bœuf » qui se rapporte au Sud-Ouest du pays comme la « civilisation du riz » aux régions des Hautes-Terres. D’après l’auteur, dans la société malgache d’apparence diversifiée et « longtemps divisée à des fins politiques », outre l’unicité de la langue, se retrouve un fond commun, le culte des ancêtres. Sur les vastes plateaux de l’Ouest et du Sud, spécifie-t-il, vivent riziculteurs et éleveurs, deux genres de vie, deux mondes différents, mais « la même idéologie, le même attachement : riz-bœuf, rizière-troupeau ». Dans les villages de colline, en pays sakalava, bara ou antandroy, décrit Achilson Randrianjafizanaka, et malgré les rivalités interethniques, malgré la colonisation et l’indépendance, malgré la Civilisation (grand C), subsiste la civilisation du bœuf. « Dans ce type particulier de civilisation, l’éleveur évolue dans un univers où, aux conditions purement matérielles et aux utilisations pratiques et directes du bœuf, il associe une autre dimension : celle de la pensée, de l’idéologie et du mystique ». Le bœuf ne sera alors plus un simple animal de trait, une bête à produire du lait ou de la boucherie. L’éleveur est plus que fier de ses bêtes. Il suffit pour le comprendre de le voir les contempler, les compter, « les nommer une à une par les couleurs de leurs robes ». De même, les découpures d’oreilles, « véritables blasons à chaque clan », permettent de situer sans erreur tant les bêtes que les propriétaires. Le bœuf constitue ainsi une « représentation mystique ». Hérités de parents décédés, s’ils ne sont pas la réincarnation de ces derniers, ils sont de préférence le moyen de liaison, d’entrer en contact, avec l’au-delà où « les Ancêtres sont censés continuer à vivre ». Ancêtres également qui, de leurs vivants, se sont fortement souciés au sujet de leurs héritiers, à développer le troupeau, à les préserver des razzias ou des voleurs individuels. En outre, dans la vie quotidienne, dans tout établissement de relations de bon voisinage, de domination, de mariage, ou d’échanges commerciaux entre deux communautés distinctes (grande famille, clan, groupe ethnique…), les propriétaires-éleveurs doivent aussi trouver un terrain d’entente, « des moyens, des facteurs ou des valeurs connues et reconnues » par les deux parties en présence ». Seul, le bœuf peut garantir toutes les transactions étant « à la fois langage, valeur d’échange et trait d’union ». Dans cette optique, l’ombiasa (devin, sorcier-guérisseur…) est à mi-chemin, entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Achilson Randrianjafizanaka, souligne ainsi que le mohara, corne-amulette, est perçu comme un objet conférant une force magique à l’ombiasa. Car, explique-t-il, dans sa logique, l’éleveur associe cette force à l’animal, « origine de la matière ». De plus, précise-t-il, la relation est ici « bœuf-corne-force magique », le bœuf conférant la force. « Si elle n’est pas magique et mystique pour le commun des hommes, au moins sera-t-elle sociale. » Enfin, le troupeau est la « caisse d’épargne » de l’éleveur, sa banque est son parc où « presque tout son avoir est thésaurisé ». Quant aux veaux et aux animaux offerts par les parents au cours de diverses cérémonies, ce sont les intérêts. De temps en temps, il préfère les « utiliser » pour régler les urgences comme s’acquitter des « vililoha », impôts… Mais tout comme le paysan des Hautes-Terres répugne à vendre sa rizière, l’éleveur du Sud consent difficilement à puiser dans son parc. Dans ces sociétés d’éleveurs, force et rang social sont fonctions du nombre de ses parcs à bœufs. On peut ainsi comprendre que chacun essaye « impérativement » d’accroitre son cheptel, quitte à voler « si l’occasion favorable se présente ». Et l’auteur de conclure : « Ce ne sont pas seulement les vagabonds et les bandits de grand chemin (dahalo) qui volent, mais il y a aussi les gros propriétaires qui le font par personnes interposées… »
Pour sa contribution au Spécial de la revue de l’École nationale supérieure agronomique Terre malgache- Tany malagasy (N°14, déc. 1972-janv. 1973), sur l’élevage et les animaux domestiques, Achilson Randrianjafizanaka a choisi le thème des vols de bœufs. Ce qui l’amène à évoquer la « civilisation du bœuf » qui se rapporte au Sud-Ouest du pays comme la « civilisation du riz » aux régions des Hautes-Terres. D’après l’auteur, dans la société malgache d’apparence diversifiée et « longtemps divisée à des fins politiques », outre l’unicité de la langue, se retrouve un fond commun, le culte des ancêtres. Sur les vastes plateaux de l’Ouest et du Sud, spécifie-t-il, vivent riziculteurs et éleveurs, deux genres de vie, deux mondes différents, mais « la même idéologie, le même attachement : riz-bœuf, rizière-troupeau ». Dans les villages de colline, en pays sakalava, bara ou antandroy, décrit Achilson Randrianjafizanaka, et malgré les rivalités interethniques, malgré la colonisation et l’indépendance, malgré la Civilisation (grand C), subsiste la civilisation du bœuf. « Dans ce type particulier de civilisation, l’éleveur évolue dans un univers où, aux conditions purement matérielles et aux utilisations pratiques et directes du bœuf, il associe une autre dimension : celle de la pensée, de l’idéologie et du mystique ». Le bœuf ne sera alors plus un simple animal de trait, une bête à produire du lait ou de la boucherie. L’éleveur est plus que fier de ses bêtes. Il suffit pour le comprendre de le voir les contempler, les compter, « les nommer une à une par les couleurs de leurs robes ». De même, les découpures d’oreilles, « véritables blasons à chaque clan », permettent de situer sans erreur tant les bêtes que les propriétaires. Le bœuf constitue ainsi une « représentation mystique ». Hérités de parents décédés, s’ils ne sont pas la réincarnation de ces derniers, ils sont de préférence le moyen de liaison, d’entrer en contact, avec l’au-delà où « les Ancêtres sont censés continuer à vivre ». Ancêtres également qui, de leurs vivants, se sont fortement souciés au sujet de leurs héritiers, à développer le troupeau, à les préserver des razzias ou des voleurs individuels. En outre, dans la vie quotidienne, dans tout établissement de relations de bon voisinage, de domination, de mariage, ou d’échanges commerciaux entre deux communautés distinctes (grande famille, clan, groupe ethnique…), les propriétaires-éleveurs doivent aussi trouver un terrain d’entente, « des moyens, des facteurs ou des valeurs connues et reconnues » par les deux parties en présence ». Seul, le bœuf peut garantir toutes les transactions étant « à la fois langage, valeur d’échange et trait d’union ». Dans cette optique, l’ombiasa (devin, sorcier-guérisseur…) est à mi-chemin, entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Achilson Randrianjafizanaka, souligne ainsi que le mohara, corne-amulette, est perçu comme un objet conférant une force magique à l’ombiasa. Car, explique-t-il, dans sa logique, l’éleveur associe cette force à l’animal, « origine de la matière ». De plus, précise-t-il, la relation est ici « bœuf-corne-force magique », le bœuf conférant la force. « Si elle n’est pas magique et mystique pour le commun des hommes, au moins sera-t-elle sociale. » Enfin, le troupeau est la « caisse d’épargne » de l’éleveur, sa banque est son parc où « presque tout son avoir est thésaurisé ». Quant aux veaux et aux animaux offerts par les parents au cours de diverses cérémonies, ce sont les intérêts. De temps en temps, il préfère les « utiliser » pour régler les urgences comme s’acquitter des « vililoha », impôts… Mais tout comme le paysan des Hautes-Terres répugne à vendre sa rizière, l’éleveur du Sud consent difficilement à puiser dans son parc. Dans ces sociétés d’éleveurs, force et rang social sont fonctions du nombre de ses parcs à bœufs. On peut ainsi comprendre que chacun essaye « impérativement » d’accroitre son cheptel, quitte à voler « si l’occasion favorable se présente ». Et l’auteur de conclure : « Ce ne sont pas seulement les vagabonds et les bandits de grand chemin (dahalo) qui volent, mais il y a aussi les gros propriétaires qui le font par personnes interposées… »