Cours d’économie par Pierre de Chevigné


Arrivé à Madagas­car le 8 mars 1948, le haut-commissaire de la République française à Madagascar et Dépendances, Pierre de Chevigné, ouvre officiellement à Antana­narivo, le 31 mars, l’Assemblée représentative. Il résume sa mission en quelques mots : mettre un terme « aux épreuves que subit aujourd’hui la Grande ile » panser les plaies, donner au Territoire une vie et une santé nouvelles. L’Assemblée représentative se déroule juste un an après les évènements du 29 mars 1947. Après avoir évoqué l’action pacificatrice nécessitée par cette « rébellion », il aborde la situation économique. « Il existe une branche de la politique générale du pays où nos efforts doivent spécialement s’appliquer- car elle conditionne le redressement auquel nous coopérons tous- à l’économie et aux finances. » Pierre de Chevigné indique deux choix qui s’offre au pouvoir face à « la dévaluation subie par Mada­gascar en dépit d’une balance commerciale exceptionnellement favorable et d’un budget en excédent ». Le premier consiste à restaurer un dirigisme total qui se traduirait surtout par une taxation des prix rigoureuse, mais ruineuse pour l’économie, une péréquation généralisée difficile à admettre, une réglementation étroite de la production et des échanges, bref autant de mesures génératrices de fraudes et d’injustices. « Au total, l’ile deviendrait une unité économique artificielle. » Le deuxième choix, à l’inverse, est de tenter une expérience libérale dont la conséquence immédiate serait « la hausse brutale des prix avec son cortège d’enrichissements injustifiés et de misères sociales ». Le haut-commissaire de Chevigné propose alors une solution alternative, plus nuancée. Dans tous les cas, quelle que soit la politique adoptée, « la hausse des prix est inévitable après une dévaluation ». Il parle plutôt de limiter le montant de cette hausse des prix et de l’étaler dans le temps, comme il le stipule dans son arrêté du 18 mars. Ceci pour préserver les travailleurs du secteur privé, une des forces vives du pays, même s’ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la population. Car « nous assistons à la naissance d’un prolétariat autochtone sur la condition duquel il est de notre devoir de veiller ». Pierre de Chevigné propose une nouvelle augmentation de 20% du taux du salaire minimum de base, la première ayant eu lieu en janvier de la même année. Cela est nécessaire pour éviter que les masses ouvrières soient« les perpétuelles victimes de la course infernale des salaires à la poursuite des prix ». La situation des agents de l’État doit aussi être étudiée de près, estime le haut-commissaire. « Ce mauvais patron applique impitoyablement les salaires minima, à peine corrigés de coefficient d’ancienneté ou de spécialité, à la masse des auxiliaires journaliers ». Ces derniers assurent pourtant la marche des grands services de l’État et de ses exploitations industrielles. En fait, tous les agents de l’État- cadres régis par décret, cadres locaux ou spéciaux, contractuels, auxiliaires au mois ou à la journée- doivent faire face à la montée des prix qui se répercute sur chacun d’entre eux. Une revalorisation de la fonction publique s’impose ainsi. Pour ce faire, des augmentations sont à consentir en cours d’année à tous les agents de l’ile. Mais en attendant l’accord du ministre de la France d’Outre-mer et celui des Finances, il est décidé qu’un acompte de 20%, à valoir sur ces hausses attendues du reclassement de la Fonction publique, serait attribué aux fonctionnaires régionaux par décret. L’application de cette mesure et son extension aux agents encadrés et non encadrés de l’Adminis­tration locale demande aux membres de l’Assemblée représentative de disposer des 249 millions de crédit supplémentaires, ouverts au cours de la session extraordinaire de janvier. « Ainsi sera affirmé ce principe d’égalité qui tient légitimement au cœur de nos fonctionnaires, des carres locaux et spéciaux. » Pierre de Chevigné conclut cette première partie de son intervention devant l’Assemblée représentative en soulignant que les problèmes qu’il évoque (marché noir, commerce, niveau de vie) se résument à un problème de production ou d’approvisionnements.
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