Les traitants de Toliara face à l’hostilité des autochtones


La seconde moitié du XIXe siècle à Toliara sera marquée par le triple jeu du commerce, des rivalités internationales et des difficultés du royaume du Fiherenana, écrit René-Louis Ader dans une mise au point sur les origines de la ville jusqu’en 1897 (lire précédentes Notes). Une pénétration progressive de traitants réunionnais et de quelques Mauriciens est alors constatée sur le plan commercial. Le premier, un certain Desmorels, se serait installé vers les années 1820, comme en témoigne le RP de la Vaissière. Le RP Engelvin ne le signale que vers 1845. Vers 1840, un Réunionnais aurait commercé à Androka. « De toute façon et avec des fortunes diverses, le nombre des traitants va croître : ils étaient huit, répartis entre Saint-Augustin et Tuléar en 1870, une quarantaine vers 1885. La majorité était des Réunionnais établis à leur compte ou représentant des maisons de leur île. » Cependant, le commerce consiste surtout en échanges comme toujours. À l’exportation, les principales marchandises sont les bœufs ou les salaisons, les pois du Cap, le maïs, les tortues, les trépangs et l’orseille, sans oublier les « Engagés ». En contrepartie, les traitants donnent des armes, de la poudre et des pierres, de la verroterie, des marmites en fonte et du rhum. La traite des « Engagés » qui diminue peu à peu, serait d’un « certain profit », selon le RP de la Vaissière, car s’obtenant chacun à 20 ou 30 piastres, ils sont cédés à La Réunion pour 200 à 240 piastres vers 1858. Mais « dans l’ensemble, il s’agissait d’un trafic de vivres, d’autant qu’à La Réunion, on en est à l’ère des Cafres et des Malabars ». Hormis les vols et les menus larcins auxquels ils doivent faire face, deux choses préoccupent surtout les traitants. D’abord les redevances qu’ils ne peuvent jamais prévoir et qui sont en hausse continue ; ensuite leur sécurité. Ainsi, en 1861, le représentant de la Maison Rontaunay de La Réunion établi à Toliara depuis onze ans, est tué près d’Androka. En 1882, c’est un prospecteur américain, Emerson, et son guide, le Français (ou Mauricien) Théodore Parent, qui sont tués dans la baie de Saint-Augustin, tandis qu’un second Américain arrive à s’enfuir. « Cette hostilité de la population envers les traitants, pouvait avoir une triple origine. » René-Louis Ader cite d’abord l’incident de 1835. Le navire de commerce réunionnais « Le Voltigeur » ayant à son bord depuis Taolagnaro une petite troupe merina (trois officiers et cinquante hommes), jette l’ancre dans la baie de Saint-Augustin au début de l’année. Les chefs locaux, dont le « Prince William », fils du roi de Toliara, Marintoetra, sont invités à dîner à bord. Aussitôt, ils sont saisis, liés, faits prisonniers tandis que le navire lève l’ancre. Débarqués à Taolagnaro puis transférés à Antananarivo, « ils y seront mis à mort ». « On peut concevoir alors la méfiance, pour ne pas dire plus, que les navires de commerce réunionnais inspiraient. » La deuxième raison est la personnalité même des traitants, à commencer par leur dureté envers la population. René-Louis Ader cite l’attitude des traitants réfugiés à Nosy-Ve, dont l’un, un Suisse, ne traite une affaire que revolver au poing. Un autre, un Anglais, las de multiples larcins, « impose à ses huit domestiques, une ordalie au fer rouge ». Un dernier, un Réunionnais, « fait couper un doigt à celui de ses serviteurs accusé de vol. Quand il n’y avait plus de doigt dans une main, l’homme était jeté en haute mer » ! Toujours d’après l’auteur, les traitants semblent s’entendre au début, « à tel point qu’ils avaient reçu l’appellation ambiguë de Frères de la Côte ». Toutefois, l’officier de navire Leopold de Jedina signale que les deux chefs de factorerie installés à Toliara en 1874, Rosiers et Raoulx, peut-être les seuls Européens résidents, ne se parlent jamais, emportés par leur rivalité commerciale. De surcroît, l’honnêteté dans les affaires n’est jamais bien grande et des protestations s’élèvent.
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