Jean-Eric Rakotoarisoa - « Il faut vraiment réorganiser la société politique »


La Haute cour constitutionnelle (HCC) détient l’un des rôles principaux du processus électoral. Tout en expliquant les raisons des décisions antérieures de cette institution, son président affirme que leur challenge sera de faire respecter le choix véritable des électeurs. Votre dernière interview remonte au lendemain de votre élection à la présidence de la HCC. Vous avez, depuis, gardé une distance avec la presse. Pourquoi cela ? La principale raison est le devoir de réserve auquel sont soumis les membres de la HCC. Nous ne pouvions pas trop parler à la presse, sauf cas exceptionnel, comme lors du dépôt de déclaration de patrimoine du Premier ministre. Il y a, toutefois, des moments comme maintenant, où on est en période électorale et où il est nécessaire de faire connaître le rôle de la Cour dans le processus. Durant ces années de silence, la HCC a été fréquemment fustigée par l’opi­nion publique à cause de certaines de ses décisions. Celles concernant les deux tentatives de déchéance du président de la République, notamment. Pourriez-vous expliquer les motivations de la HCC dans ces décisions aux tons politiques ? En fait, les juridictions constitutionnelles en général, et particulièrement celles africaines, suite à un partage d’expérience, ont un rôle de régulation des institutions, de pacification de la société. C’est surtout dans le contexte africain. À la différence de ce qui se fait dans les pays développés, les juridictions constitutionnelles en Afrique sont parfois amenées à prendre des décisions qui sont perçues dans un sens politique. Elles servent cependant à apaiser une situation houleuse, et à revenir sur le chemin constitutionnel. Cela prévaut-il pour la décision du 25 mai ? C’est le cas de la dernière décision. On est entré dans une phase de crise pré-électorale, alors que nous devons aller vers les élections. On a donc dû prendre une décision qui permet de sortir de cette situation de confrontation, et surtout amener les protagonistes de la crise à revenir dans la voie constitutionnelle que sont les élections. On constate actuel­lement que les intéressés s’y engagent. Il appartient maintenant aux électeurs de trancher sur les litiges entre ces hommes politiques. Où est la limite des motifs politiques dans les prises de décision de la HCC ? Les prises de décision dépendent des situations. Lors de la première déchéan­ce, le pays venait juste de sortir d’une crise. On ne pouvait pas se permettre d’avoir une nouvelle désta­bilisation, notamment des institutions. La déchéance a visé le président de la République, mais ça a eu un impact sur les au­tres institutions. La priorité était d’abord de stabiliser les institutions. C’est aussi la philosophie des décisions de la Cour. On est là d’abord pour défendre les institutions, pour défendre la République. Ce n’est peut-être pas compris par certaines personnes. Qu’en est-il du volet juridique alors ? Avec les élections, nous allons aller vers la normalisation de la vie de la Nation. Une fois la situation normalisée, les décisions vont se cantonner aux volets purement juridiques. On ne peut pas se permettre que le pays reste ou replonge dans une crise pendant plusieurs années encore. Il fallait que quelqu’un prenne ses responsabilités pour que la Nation sorte de la crise. Nous avons pris cette responsabilité. De ce fait, l’hypothèse selon laquelle la HCC aurait défendu le président de la République en le préservant de la déchéance serait-elle avérée ? Il ne s’agit pas de défendre une personne. Comme je l’ai dit, il s’agissait de défendre les institutions. Il fallait éviter de fragiliser les institutions. Cela est valable pour le futur. Le risque est que quel que soit le Président élu, si on fragilise les institutions, il sera contesté dès le départ. Si à chaque occasion on descend dans la rue pour destituer le Président en place, on ne pourra plus gérer ce pays. Il s’agissait donc de défendre l’institution présidentielle, surtout pour le futur. Pour que l’on ne soit plus dans une phase permanente de contestation ou de destitution. L’essentiel est que les institutions fonctionnent normalement. Que les débats et les problèmes se règlent au niveau du Parlement. À propos des députés, la HCC a écarté le principe du mandat impératif en 2015. Dans la décision du 25 mai, vous aviez pourtant pris comme référence la liste des députés, suivant la liste initiale des députés élus, proclamés en 2014. Le principe est que nous sommes dans un système représentatif. Les gouvernants, notamment les parlementaires, sont élus. Et dans un système démocratique, nous ne sommes pas dans un mandat impératif, mais un mandat représentatif qui donne une liberté de décision aux parlementaires. Les problèmes sur le nomadisme politique relèvent des affaires internes des partis. Il appartient à chaque parti de discipliner ses membres. Cela ne devrait même pas figurer dans une loi. Un parti doit être capable de gérer ses membres. On pourrait dépasser ce genre de problème si nos partis politiques sont basés sur des idéologies bien définies. Vue la fragilité de la pratique politique à Mada­gascar, le fait d’avoir supprimé le mandat impératif n’a-t-il pas entrainé une fragilité des institutions ? Il faut rappeler que le mandat impératif n’est pas applicable dans un système démocratique. Lorsqu’on parle de démocratie, on est dans un système de mandat représentatif. Après, c’est une question de responsabilité politique que chacun doit assumer. Il y a une responsabilité des partis et celle des élus aussi, de ne pas jouer cette versatilité. Ce n’est pas à partir de la décision de la HCC ou de la loi. Il faut vraiment qu’on ait de vrais partis politiques et ce problème sera réglé. Il y a aussi les indépendants. Lorsqu’on en a plusieurs au sein de l’Assemblée nationale, cela pose un problème. Je pense que les scrutins nationaux devraient être réservés aux partis. Une démocratie n’impli­que-t-elle pas que les citoyens aient le droit de prétendre à un mandat électif ? Dans un système démocratique, ce sont les partis politiques qui doivent jouer ce rôle. Les citoyens intè­grent les partis politiques s’ils veulent être élus. Il y a, malheureusement, une défaillance des partis politiques. C’est aussi, pour cela que nous avons ce problème avec les indépendants. Je pense qu’il faut vraiment réorganiser la société politique. Déjà, le fait qu’on ait deux cent dix partis politiques est déjà un problème. "On est là d’abord pour défendreles institutions, pour défendrela République" Vu tout ce qui s’est passé dans ce quinquennat, la HCC estime-t-elle avoir réussi à défendre les institutions, à préserver leur stabilité ? Je pense qu’on a réussi à éviter le pire. Vous savez, derrière les histoires de déchéances, il y a beaucoup de choses. Il y a des enjeux et des velléités de prendre le pouvoir, au-delà de ceux qui ont revendiqué ou déclenché la déchéance, il y a différentes forces dans le pays qui ont voulu prendre le pouvoir. Que ce soit lors de la première ou la deuxième déchéance. Nous risquions de faire un saut dans l’inconnu. Une situation qui risquait de ne pas être gérable. C’est pour cela qu’il fallait défendre les institutions. Était-ce nécessaire ? On est encore une démocratie très fragile. Il faut donc y aller progressivement, consolider les institutions et éviter les crises. Il faut amener les partis politiques à prendre leurs responsabilités, notamment lors de la seconde déchéance. Il appartient maintenant aux électeurs de trancher. C’est pour cela aussi que la Cour a recommandé de séparer les élections présidentielles et législatives. Les législatives doivent servir à chercher une majorité claire pour le président de la République. Si on arrive à dégager une majorité présidentielle, on aura un système politique beaucoup plus stable. En parlant de cette décision du 25 mai, quelle est la valeur de l’accord politique que vous aviez prescrit par rapport à la Constitution ? C’est la Constitution qui prime. L’accord politique tel qu’on l’a précisé dans la décision, c’est justement mettre en œuvre les dispositions constitutionnelles, notamment avec un gouvernement qui fonctionne pour qu’on aille aux élections. On est quand même à quelques mois des élections. Nous pensons qu’on devrait résoudre le problème par le biais de cette élection. Il faut donner l’arbitrage aux électeurs. Pourtant, votre décision prévoit que le Premier ministre ne peut pas être démis de ses fonctions, sauf avis favorable de la HCC, ou encore que le gouvernement reste en place jusqu’à l’investiture du nouveau Président. Peut-être certes, mais on est dans une situation de sortie de crise, donc pour stabiliser la situation on a imposé cela. C’est juste pour quelques mois, mais non pas définitif, avec toujours pour objectif de pouvoir organiser les élections. C’est-à-dire garder la stabilité des institutions actuelles, le gouvernement, l’Assemblée nationale, parce qu’on a également interdit la dissolution de la Chambre basse. Dans quelle optique ? L’objectif est qu’il faut que ces institutions restent en place pour les quelques mois qui restent, le temps qu’on renouvelle tous les mandats. Il ne faut pas oublier qu’on a installé un délai, selon lequel la nouvelle Assemblée nationale doit être mise en place avant la première session de l’année prochaine. Au cours du premier semestre 2019, on devrait, normalement, avoir des institutions nouvellement élues suivant le calendrier prévu par la Constitution. On devrait revenir à une situation totalement normale. Comment la HCC s’affirmera-t-elle comme l’institution judiciaire de manière objective et impartiale dans ce processus électoral ? Nous avons la Consti­tution et les textes électoraux, nous allons les appli­quer. C’est le seul moyen pour la Cour d’imposer nos décisions. On va jouer notre rôle tel que prévu par la Loi fondamentale, pour que les résultats reflètent véritablement le choix des urnes. S’il y a des irrégularités, on appliquera les sanctions nécessaires. Nous l’avions déjà fait lors des élections sénatoriales où des résultats ont été annulés. Ce n’est pas seulement l’affaire de la HCC. Pour qu’on ait des élections crédibles, il faut que tout le monde s’y mette. Il faut que tout le monde surveille le système pour éviter les irrégularités. N’est-ce pas le cas ? Il faut que tout le monde joue le jeu et assume ses responsabilités. Pour notre part, nous sommes en train de faire des sensibilisations, jusque dans les provinces dans ce sens. Ça a par exemple, toujours été prévu dans les lois électorales que le Parquet peut se saisir s’il y a des suspicions de fraude ou d’irrégularité. Je n’ai, malheu­reusement, jamais vu de procureur de la Répu­blique se saisir sur pareil cas. Il faut utiliser ces instruments-là. La HCC n’a pas les moyens d’être partout dans le pays. Il faut que tous les garde-fous fonctionnent. De tout ce qui a été, la Cour tranchera-t-elle selon le droit dans ce processus électoral, osera-t-elle sanctionner ? S’il y a des irrégularités, il y aura des voix annulées. S’il y a des doutes, on va trancher. On l’a déjà dit et je le répète, nous n’aurons pas d’état d’âme. Tout dépendra de la gravité des actes, mais les sanctions seront prises si nécessaire. C’est pour cela que nous avons recommandé qu’il ne devrait pas y avoir un nombre important de procès-verbaux de carence, au risque de dénaturer les élections. J’espère qu’on n’arrivera pas à la sanction la plus grave qu’est l’annulation totale de l’élection. Encore une fois, il faut que chacun prenne ses responsabilités. La position de la Cour c’est de faire respecter le verdict des urnes. Et ça, on va en prendre la responsabilité. Sur le dépôt de candidature, par exemple, comment la HCC fera-t-elle passer la pilule d’une éventuelle disqualification ? C’était un problème en 2013. On va motiver les éventuelles disqualifications. On va expliquer. Cela fait partie du rôle pédagogique de la Cour. On a organisé un atelier, justement, sur les pièces à fournir pour que les candidats à la présidentielle puissent bien se préparer, afin d’éviter les disqualifications. C’est pour cela qu’on fait un travail de sensibilisation et d’information. Notre philosophie n’est pas de disqualifier les candidats, mais qu’ils respectent les conditions posées par les lois électorales. Nous sommes d’accord pour régulariser les dossiers, mais jusqu’au 21 août. Au-delà de cette date, on devra statuer sur la liste des candidats et il n’y aura plus de régularisation possible. Vos prises de décision se font-elle toujours de manière collégiale ou par vote ? Qu’en est-il de la voix prépondérante du président en cas d’égalité de voix ? Ce que je peux vous dire sans trahir les secrets de délibération, c’est qu’on n’est jamais arrivé à un vote. On s’est toujours entendu entre nous. Toutes les décisions qui ont été prises par la Cour, jusqu’à maintenant, sont des décisions collégiales. Il y a un débat interne jusqu’à la formulation de la décision. Toutes les décisions prises ont été univoques, à l’unanimité. En matière électorale, comment la HCC compte convaincre que la protection de l’institution présidentielle n’est pas une protection du président de la République, s’il est candidat ? Normalement, s’il est candidat, il y aura un président par intérim. La démission d’un chef de l’État sortant, candidat aux élections, est un cas unique de par le monde. La démission du président de la République devra être constatée par la HCC, et c’est à elle de désigner le président du Sénat qui assurera l’intérim. La Cour devra clarifier, définir le rôle de cet intérim, parce que la Consti­tution ne dit rien et on ne peut pas faire de droit comparé. Le fait est que l’intérim qui s’installera sera relativement long. Il faut toutefois que l’État fonctionne. Est-ce pour défendre l’institution ou l’homme ? L’objectif est toujours de défendre l’institution, de le cadrer. Il ne s’agit jamais de l’homme, mais toujours de la défense de l’institution. Pour l’intérim, d’autant plus, la définition du rôle constituera à éviter d’éventuels dérapages d’un Président par intérim. Ces élections seront l’occasion pour la HCC de rétablir son image. Comment compte-t-elle procéder ? Comme je l’ai dit. Il faut que dans notre décision, on arrive à faire respecter le verdict des urnes, la sincérité du scrutin. C’est à partir de ce moment là que la Cour arrivera à imposer sa décision et restaurer la confiance des citoyens à l’endroit du processus électoral, parce qu’on est conscient qu’il y a une défiance du citoyen par rapport aux élections. On va donc vraiment tout faire, prendre intégralement notre responsabilité en tant que juge électoral pour que lors de cette présidentielle, ce soit le candidat véritablement souhaité par la population qui soit élu. C’est un challenge, mais on va tout faire pour y arriver. Comment restaurer cette confiance ? Il faut que chaque acteur du processus prenne conscience de ses responsabilités. Ça va beaucoup nous aider. Que ce soit clair, on va jouer notre rôle, mais on ne pourra pas tout faire tout seul. On a besoin que tout le monde s’implique dans le processus électoral pour qu’il soit crédible. Dans la restauration de la confiance, la Cour a bien sûr son rôle à jouer, il ne s’agit pas seulement de restaurer la confiance envers la Cour, mais envers l’ensemble du processus. L’objectif est de dédramatiser les élections. Il faut arriver à banaliser les élections.
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