Lalatiana Rakotondrazafy Andriatongarivo - « Les libertés publiques ne doivent pas mettre en danger la démocratie »


Un recul de trois places dans le classement mondial de la liberté de la presse. Une décision interministérielle concernant les émissions politiques dans le cadre de l’état d'urgence sanitaire. Les médias subissent, également, les revers de la crise sanitaire. À l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, la ministre de la Communication et de la culture se prête au jeu des questions et réponses sur le sujet. Interview. L'Express de Madagascar. Paradoxalement, la journée mondiale de la liberté de la presse se tient dans un contexte où la presse malgache est en souffrance. L'urgence sanitaire justifie-t-elle nécessairement toutes ces restrictions? Lalatiana Rakotondrazafy Andriaton­garivo. La presse malgache n’est pas du tout en souffrance, la liberté d'expression est encore effective. Les journalistes sont libres d'exercer leurs missions. Les citoyens sont libres d'exprimer leurs opinions et la presse est libre de les relayer. La critique est libre, l'État a même mis en place des plateformes en ligne pour recevoir les doléances, les partis politiques ne sont pas suspendus. Seules, les émissions qui sont susceptibles, de par leur nature, d'être des vecteurs de messages haineux et séditieux, susceptibles de troubler l’ordre public ou de nuire à l’unité nationale, ont été suspendues pendant la durée de l'état d'urgence. Et ce sont les seules restrictions, qui, je tiens à le dire, sont des limites constitutionnelles et légales de la liberté de la presse, même en temps normal. Donc, encore plus de raison en situation d’exception comme c’est le cas actuellement. Les défenseurs des libertés fondamentales font feu de tout bois pour dénoncer la dérive autoritaire de l'État. Cela n'est peut-être pas anodin. La situation actuelle ne tend-elle effectivement pas vers l'instauration d'une pensée unique? Vous savez, le langage de « dérive autoritaire » est un refrain classique pour l’opposition qui a tendance à juste le gargariser parce qu’elle pense que c’est un thème accrocheur. Mais honnêtement, si l’opposition a encore pu dénoncer cette soi-disant « dérive autoritaire », c’est qu’elle peut donc encore s’exprimer librement. Si le fait de vouloir rappeler encore et encore que la liberté ne signifie pas anarchie est une dérive autoritaire, soit! L’unique pensée que l’État souhaite implanter dans ce pays est celle du strict respect des lois en vigueur à Madagascar. La décision prise récemment de suspendre certaines interventions politiques qui sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public est parfaitement légale car elle est prévue par la loi sur les situations d'exception. Dans le contexte actuel, c’est une mesure préventive autorisée par la Constitution pour empêcher les actes de déstabilisation qui pourraient fragiliser l’État alors qu’il affronte déjà une crise sanitaire. Il faut noter que même en période normale, le code de la communication, déclarée conforme à la Constitution, prévoit en son article 51 nouveau bis « qu’à titre préventif la suspension provisoire d’un ou de plusieurs programmes, en partie ou en totalité d’une rubrique de publication pourrait être prononcée pour une durée n’excédant pas trois mois ». Cette décision porte certainement atteinte à la liberté d'expression. Mais elle n'est pas pour autant autoritaire comme certains insinuent. L'État met systématiquement en avant le fait que ses décisions cadrent avec la Constitution et la loi. Seulement, la loi sur la situation d'exception qui date de 1991 n'est-elle pas désuète par rapport à la Constitution qui parle, qui plus est, de loi organique pour appliquer les termes de son article 61? Vous raisonnez un peu comme l’opposition qui dit que la loi 91-011 est caduque tout simplement parce qu’elle est antérieure à la Constitution qui elle, date de 2010. Avec ce raisonnement, toutes les lois datant d’avant 2010 devraient donc être caduques et que Madagascar aurait donc dû commencer son existence seulement en 2010 et effacer tout ce qui existait avant cette date. Vous savez que nous avons encore des lois qui datent des années 60 qui continuent parfaitement à être en vigueur. La loi de 1991 a été élaborée pour mater une crise politique. Actuellement, il est pourtant question de crise sanitaire. Et dans les faits, il ne semble pas que ni les institutions, ni l'unité nationale soient en danger. La crise du coronavirus n'est pas seulement une menace sanitaire, elle a des impacts sur l'ordre public en général, elle provoque une crise économique et sociale. Ces deux crises ont des impacts directs sur la stabilité d'un État car les frustrations sociales pourraient favoriser l'émergence d'une crise politique. Or dans une période de crise sanitaire, où l'État doit déployer des moyens considérables pour endiguer la pandémie et ses effets socio-économiques, le gouvernement ne peut pas se permettre de gérer une autre forme de crise qui, à elle seule, a aussi la capacité de compromettre le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et de ce fait affaiblit la capacité de l'État à faire face à la crise sanitaire, menaçant ainsi directement la vie de la population, doublée d'une crise globale. Malheureusement à Madagascar, il est désolant de voir qu'une partie de la classe politique ne cache plus ses intentions de provoquer la haine du gouvernement dans une période de crise et appelle même ouvertement à l'effondrement du régime. De telles attitudes ne visent qu'à installer le chaos dans le pays et n'a plus rien à avoir avec une opposition démocratique. Après l'expérience de ces derniers mois, ne serait-il pas temps de modifier la loi sur la situation d'exception? Personnellement, je n’en vois pas l’utilité, mais après tout ce n’est pas à moi d’en décider. Laisser carte blanche aux émissions politiques serait-il dangereux pour la santé publique? Encore une fois, ce ne sont pas les émissions politiques en soi qui sont interdites, mais celles comportant des interventions susceptibles de troubler l’ordre et la sécurité publics comme l’incitation à la haine ou à la haine raciale, la désinformation, de nuire à l’unité nationale ou inciter à la désobéissance civile. Serait-il difficile de mener à bien la lutte contre la Covid-19 sans toucher à la liberté d'expression, la liberté de la presse, le droit à l'information et la liberté d'opinion? C’est toujours très étonnant cette tendance à occulter les limites constitutionnelles et légales de ces libertés que vous citez. Il n’y a pas de liberté absolue. Il faut lire et relire l’article 10 de la Constitution qui pose des conditions claires à l’exercice de ces libertés, notamment « le respect des libertés et droits d'autrui et par l'impératif de sauvegarde de l'ordre public, de la dignité nationale et de la sécurité de l'État ». En réalité, la mesure édictée concernant certaines interventions audiovisuelles met le journaliste devant ses responsabilités par rapport à son code de déontologie et le respect de la loi. Il est libre d'exercer son rôle et d'en être entièrement responsable. Il peut critiquer ou dénoncer et l’État n’a jamais remis cette liberté en cause. Il peut encore relater les opinions des autres, mais il doit être pleinement conscient de ces limites constitutionnelles. Les libertés publiques sont reconnues et garanties dans le seul but de promouvoir la démocratie et l'État de droit mais non pas les mettre en danger. Dans le cadre de la guerre sanitaire, une opinion diversifiée et une presse ayant la latitude nécessaire pour informer les citoyens ne serait-elle pas un atout et un allié de poids pour l'État? Tout à fait, et j’estime en toute humilité que depuis l’arrivée du président de la République au pouvoir en 2019, le gouvernement a toujours œuvré pour que la presse malgache ait cette latitude nécessaire pour informer les citoyens. N’oublions pas qu’il a fallu une grande volonté politique pour changer la loi liberticide que la presse avait eue en 2016. Mais on a tenu notre engagement et la presse a désormais cette loi, la première depuis plus de 20 ans, qui offre des garanties réelles à l’exercice de sa liberté, mais en toute responsabilité. Le gouvernement encourage vraiment la presse à aller le plus loin possible dans son travail journalistique professionnel, mais uniquement en respectant les règles indispensables à ce travail, comme le fait de ne pas verser dans la désinformation et la propagation de fausses nouvelles qui crée une psychose absolument néfaste à la lutte contre la pandémie. Je suis convaincue que la presse peut être une alliée importante dans cette lutte, à condition de comprendre et d’assumer pleinement son rôle dans un pays démocratique comme Madagascar. Liberté de la presse et accès à l'information sont deux principes inséparables. L'accès à l'information est pourtant un parcours du combattant à Madagascar. Et les choses se sont compliquées durant cette crise sanitaire. Des ministères et démembrements de l'administration sont devenus hermétiques. Les bribes d'information sont communiquées de manière laconique. C'est comme si des départements se sont donnés le mot. Y a-t-il eu une consigne ou une note dans ce sens? Il ne faut pas faire un procès d’intention. Je peux vous rassurer qu’il n’y a jamais eu de consigne dans ce sens. Soyons honnêtes, la réticence de certains démembrements de l’Administration à communiquer ne date pas d’aujourd’hui, elle a toujours été là et s’explique peut-être en partie par le poids culturel de la hiérarchie dans l’administration. C’est aussi le gouvernement actuel qui a l’audace et la volonté politique de révolutionner les choses en ayant entamé le processus d’élaboration de la loi sur l’accès à l’information à caractère public, en veille depuis l’année 2006. Le projet de loi a même été déjà discuté en première lecture en Conseil du Gouvernement de décembre 2020. Et j’ai foi que le processus aboutira bientôt. Où en est ce projet de loi sur l'accès à l'information? Je l’ai dit, le projet de loi a été déjà discuté en première lecture en conseil du gouvernement, il devrait être programmé pour une deuxième lecture après les débats et observations des membres du gouvernement. Notre souhait est de le voir inscrit à l’ordre du jour du parlement lors de cette session ordinaire qui pointe son nez. La presse ne fait que rapporter ce qui se passe au sein de la société. L'existence de différents organes ayant des lignes éditoriales différentes fait qu'il y a différents angles de traitement de l'information. Avoir décidé de limiter la liberté d'information et de la presse ne traduit-il pas les difficultés rencontrées par l'État dans la gestion de cette crise sanitaire? Je le dis et redis, il n’y a jamais eu de velléité à limiter illégalement la liberté de la presse, mais juste la volonté d’être ferme dans la nécessité pour tous les gens de la presse de respecter scrupuleusement la législation en vigueur, qui prend tout son sens en temps de crise comme maintenant. Le ministère chargé de la communication n’a jamais interféré dans les angles de traitement de l’information par la presse, encore moins dans le choix de sa ligne éditoriale. Pour ce qui est de la gestion de la crise sanitaire, il faut avoir l’humilité d’admettre que tout n’est pas parfait, qu’il y a des failles mais vous savez, cette pandémie est un phénomène totalement nouveau dans le monde entier. Tous les gouvernements du monde entier, qu’ils soient dans un pays démocratique ou dans un régime totalitaire, ont dû apprendre sur le tas la manière de la gérer. Et je pense tout de même qu’il serait malhonnête de ne pas reconnaître les efforts considérables que l’État déploie nuit et jour pour gagner la lutte. Sur la RNM, le 23 avril, vous avez déclaré que la décision interministérielle était réfléchie et assumée du gouvernement. Seulement, le fait de l'avoir modifié au lendemain des diverses réactions n'est pas un rétropédalage? Un aveu que la décision a été prise de manière excessive? Pourquoi parler de rétropédalage? L’objectif de la première décision était tout simplement de faire comprendre qu’on n’est pas dans une situation normale et que les journalistes se doivent de redoubler de professionnalisme dans l’exercice de leur métier pour ne pas créer une crise dans la crise. Par leur lettre demandant la reprise de leurs émissions, ils nous ont fait comprendre qu’ils ont eux-aussi compris la nécessité impérieuse de ne pas être des vecteurs de troubles à l’ordre public en ces temps difficiles et je les en remercie sincèrement. Nous en avons donc pris acte et puisque l’objectif a été atteint, pourquoi maintenir la décision? D’où la deuxième décision. Vous savez à quel point les médias peuvent être une arme redoutable entre les mains de ceux qui veulent semer le chaos dans un pays. Devrais-je vous rappeler l’histoire de la fameuse « radio des mille collines » au Rwanda? Certains médias n’ont jamais caché qu’ils véhiculent des messages de haine et cherchent à tout prix à perpétrer un coup d'État et cela est inadmissible. L’État ne peut pas se permettre de gérer une nouvelle crise politique au moment où des centaines de vies sont en danger à cause du coronavirus. Et pourtant, ces médias ont par exemple appelé les gens à descendre dans la rue alors que le message principal est d’éviter tout rassemblement populaire favorisant la propagation du virus. Mais ils exposent les citoyens au danger, c’est irresponsable et inconscient. Les médias ayant repris leur émission auraient-ils été autorisés à le faire sans la lettre d'engagement qu'ils ont signée? Ce qui importe pour le gouvernement, c’est que les médias ont compris leurs responsabilités dans le cadre de cet état d’urgence sanitaire. Ils nous l’ont fait savoir par le biais de cette lettre de demande de reprise de leurs émissions dans laquelle ils rassurent qu’il ne verseront pas dans la provocation visant à troubler l’ordre public, porter atteinte à l’unité nationale ou encore inciter à la désobéissance civile ou à la haine, verser dans la désinformation ou la propagation d’informations mensongères et calomnieuses dans leurs émissions et qu’ils s’engagent à continuer dans ce sens. Les choses ne peuvent être plus claires à mon avis. Vous dites que cette lettre d'engagement à été à l'initiative de ces médias. Avoir été obligé à le faire pour reprendre la diffusion d'émission politique n'est-il pas une autocensure qui témoigne des heures difficiles que vivent la presse malgache? Vous vous contredites, la lettre a été à l’initiative de ces médias, cela signifie clairement qu’ils n’y ont pas été obligés. Et depuis quand d’ailleurs le fait de respecter les lois qui régissent la profession de journaliste est une autocensure? Je le répète, la liberté n’est pas l’anarchie et le respect des lois, de l’éthique et de la déontologie est un principe élémentaire que tout journaliste digne de ce nom doit connaître dans l’exercice de la profession. Qu'en sera-t-il des médias qui n'ont pas signé un engagement? Justement, parlons-en. Je tiens d’abord à remercier les médias qui nous ont fait parvenir leur lettre du 25 avril dernier, parmi eux, des médias d’opposition très critiques à l’endroit du régime actuel. Et c’est ce que j’ai toujours dit, on peut être critique tout en étant responsable. La majorité des médias visés expressément dans la première décision qui a été annulée et qui n’ont pas signé la lettre font partie des médias d’opposition qui véhiculent des messages politiques menaçant l’ordre et la sécurité publics à longueur de journée. Quand on y claironne ouvertement qu’il faut renverser le régime Andry Rajoelina, que les politiciens de l’opposition allaient perpétrer leur sixième coup d’État, que les gendarmes ne doivent plus obéir au Secrétaire d’État à la gendarmerie, qu’il faut lui régler son compte au Président de la République, que le Plan Emergence de Madagascar est financé par Al-Qaïda, et j’en passe, doit-on donc les laisser violer aussi allègrement les dispositions de la loi sur la communication, du code pénal, et même de la Constitution en toute impunité au nom de la liberté? Et ce qui est triste, c’est que la plupart des intervenants dans ces émissions sont des politiciens et non des journalistes. Et ce sont les journalistes qui en sont les victimes collatérales, ils devraient d’ailleurs défendre leur métier en dénonçant les agissements de ces médias. Madagascar a perdu trois places dans le classement mondial de la liberté de la presse pour l'année 2020. À l'allure où vont les choses, ça risque d'empirer pour 2021. Quand on constate que les autorités sont irritées par la moindre critique, il semble difficile de s'attendre à une amélioration de la situation. Je me demande d’où vous constatez que les autorités sont irritées par la moindre critique. Devrais-je vous rappeler que parmi les médias qui ont signé la lettre de demande de reprise de leurs émissions, il y en a qui sont très virulents envers le gouvernement? Pourquoi leur aurions-nous permis de les reprendre si nous ne supportons pas les cri tiques? Et quid des réseaux sociaux avec certaines personnes qui insultent et calomnient le chef de l’État ou certains membres du gouvernement? Il me semble qu’ils peuvent s’adonner à ce genre d’activités en toute quiétude non ? Pour le classement 2021 de Madagascar par RSF, il est clair que c’est l’état d’urgence sanitaire qui a imposé la réquisition de la presse qui est la cause de cette régression de 3 points. Mais je peux vous dire que la crise de la Covid-19 a largement influencé le monde des médias depuis l’année dernière et plusieurs pays dans les grandes démocraties ont vu aussi leurs rangs baisser. L’Ile Maurice a par exemple perdu 5 points alors qu’elle a maîtrisé plus rapidement la première vague. Les médias font partie des services essentiels et c’est le motif de la réquisition d’office. Tout ce qu’on leur a demandé, c’est de ne pas favoriser la propagation de fausses nouvelles sur la Covid en laissant intervenir les auditeurs à l’antenne en direct et de diffuser les informations officielles sur l’évolution de la pandémie, ainsi que les interventions régulières du président de la République sur le sujet. Toutefois, les journalistes ont toujours été libres de dire ce qu’ils voulaient dire, certains en avaient même abusé en se livrant en permanence à de la désinformation. Je ne serais pas étonnée si notre score empirait l’année prochaine vu la promptitude de RSF [Reporter sans frontières] à n’entendre qu’un seul son de cloche. Je me demande par exemple pourquoi RSF n’a pas vu le grand bond fait par Madagascar en 2020 avec l’adoption et l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la communication médiatisée qui a remplacé le code liberticide décrié par l’ensemble de la profession en 2016? Nous donnez-vous la garantie d'une meilleure liberté de presse et d'exercer le droit à l'information lorsque l'urgence sanitaire sera levée? Il n’y a pas de garantie à donner puisque la liberté de la presse et l’exercice du droit à l’information à Madagascar ont toujours été effectifs depuis l’avènement du régime actuel, avec ou sans état d’urgence. Et ce sera toujours le cas. Pouvons-nous avoir un engagement dans ce sens de votre part? Pourquoi devrais-je encore m’engager dans ce sens? Vous m’avez connue fervente défenseur et militante de cette liberté d’expression si je ne m’abuse et je garde le même discours que j’ai toujours tenu bien avant d’être à mon poste actuel de ministre de la communication. Liberté d’expression avec un grand oui mais dans le strict respect de la loi. Et cela n’est pas négociable pour moi.
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