Refus de travailler sur les chantiers vazaha pour cause de salaires


La collusion entre les services de la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe et les intérêts privés est tout de suite manifeste » (lire précédente Note). Le contrôleur financier s’étonne de voir les Travaux publics prêter de l’outillage à des colons, Planche et Gallois, et l’Administration leur fournir de la main-d’œuvre. À la question de savoir l’utilité d’un recours à l’entreprise, le chef du service du TA, Jaquet, répond « avec hauteur » que les adjudicataires recrutent eux-mêmes leurs travailleurs ». Il précise que « le rôle d’un entrepreneur ne se borne pas à recruter des manœuvres, à acheter de l’outillage et à signer des mandats. Il a des fonctions de direction, d’exécution sur le terrain de projets techniques qui sont autrement importantes… » Bref, dit-il, pour sa part, il ne voit « aucun inconvénient à ce que la Colonie exécute tous ses travaux en régie, si elle possède le personnel et tout le matériel nécessaire ». Dans son étude sur la « Mise en valeur coloniale et travail forcé : La construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe 1911-1923 » (revue d’études historiques Hier et Aujourd’hui N°1-2, 1975), Jean Fremigacci affirme d’ailleurs, qu’on ne peut refuser la lucidité au nouveau chef de province, l’administrateur Fraud. Il se rend compte que la crise de la main-d’œuvre, dans sa circonscription, est avant tout une crise de salaires et, plus particulièrement, des ciseaux prix-salaires. Il en donne les éléments essentiels dans son rapport économique pour 1920. D’abord, écrit-il, les entrepreneurs, « habitués à la contribution de main-d’œuvre par l’intermédiaire de l’Administration, n’ont pas suivi le mouvement de l’élévation des salaires». depuis 1914, la journée de travail sur les chantiers (huit à dix heures) passe de 0,8 à 1,25 franc. En fait, remarque l’auteur de l’étude, l’Adminis­tration est aussi responsable de ce bas niveau, par l’intermédiaire de son taux de rachat des prestations. Ensuite, les salaires libres, offerts par les propriétaires malgaches, sont nettement supérieurs, atteignant 2,5 frs (de 1920) et même 3 francs (Memorandum Parrot) pour une journée de quatre à cinq heures seulement. Enfin, le prix directeur du riz passe de 25 à 60/80 centimes le kilo. Parrot cite des augmentations beaucoup plus fortes : un lamba de coton passe de 2,5 à 25 frs, un angady (bêche) de 2-2,5 frs à 20-25 frs. Le chef de province du Vakinankaratra constate ainsi que l’insuffisance des salaires est « de toutes les causes, celle qui a le plus accentué la répugnance de l’indigène à se rendre volontairement sur les chantiers européens ». L’année suivante, la situation s’aggrave avec la crise économique et l’administrateur doit user de litotes : « Les entrepreneurs ayant continué à maintenir bas les salaires des indigènes, on peut dire que l’année 1921 n’a pas été pour la population, une période économique heureuse. » Fraud est alors confronté à une situation difficile, compliquée encore par les « variétés de la conjoncture administrative ». Jean Fremigacci rappelle qu’avant de s’en aller, son prédécesseur Bensch, appliquant à la lettre la circulaire Garbit du 5 aout 1820, ordonne l’arrêt de la réquisition et le retour à la liberté du travail. Conséquence prévisible, les chantiers du railway TA se retrouvent presque complètement abandonnés. Aussi, tout en étudiant de nouvelles méthodes de recrutement, Fraud prend-il une mesure conservatoire qui est le rétablissement du « Telopolo andro » (trente jours). Ceci, explique-t-il à ses chefs de districts dans la circulaire du 20 septembre 1920, « parce que la circulaire du 5 aout donne lieu à une interprétation inexacte» qui entraine la désertion des chantiers». C’est, au contraire, « pour intensifier la contribution de la main-d’œuvre locale » que le gouverneur général envoie cette circulaire. Les Fokonolona de la province qui seront, de plus en plus, les premiers à bénéficier des travaux des travaux d’intérêt général et local, chemin de fer, routes, établissements thermaux et annexes (sic) doivent prêter le concours le plus entier à l’œuvre actuellement en cours dans la province du Vakinankaratra. Les conséquences du rétablissement de la corvée se lisent dans le Mémorandum Parrot. En octobre 1920, « alors que les paysans malgaches sont les plus occupés au champ, de véritables chasses à l’homme sont organisées un peu partout dans la province pour les besoins du chemin de fer en construction ». Quant aux « mauvaises têtes » et « déserteurs », ils sont jetés en prison. La seule nouveauté est qu’ils sont condamnés au titre d’un article de l’indigénat différent de celui utilisé auparavant, c’est-à-dire « pour refus d’obtempérer sans excuse valable aux convocations régulièrement faites à l’occasion d’enquêtes administratives ou judiciaires ».
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