Le grand héritage caché des récits oraux


Alfred Grandidier s’intéresse,  pour la première fois à Mada­gascar en 1865, alors que l’Europe connaît très mal la Grande ile et pas du tout le peuple malgache. D’après Raymond Kent (Bulletin de Madagascar, juin-juillet 1969), « à l’époque, on parlait surtout  de Fort-Dauphin (1643-1674 et 1768-1771) par intervalles, en associant la Colonie et les évènements en France qui présentaient un certain rapport avec l’expansion d’Outre-mer, depuis Richelieu jusqu’à Louis XV ». En fait, les deux volumes d’Étienne de Flacourt représentent « les seuls  renseignements significatifs qui sortent des normes classiques » (« Histoire  de la Grande île Madagascar », 1656 et 1661 et « Relation de la Grande île Madagascar», 1661). La dépendance économique des îles Mascareignes sur Madagascar, l’arrivée de la London Missionary Society dans la capitale et la rivalité « vacillante » anglo-française dans l’Ouest de l’océan Indien contribuent à susciter un intérêt et une connaissance plus approfondie de Madagascar. Raymond Kent cite les quelques auteurs qui publient des  « informations principales » après Flacourt, mais avant Alfred Grandidier. Samuel Copland sort en 1822 une Histoire de l’île de Madagascar, mais qui « n’était plus ou moins qu’une traduction libre de l’ouvrage de Flacourt ». Elle est située sans discernement « au XIXe siècle » ! Seize ans plus tard, William Ellis écrit un « rapport de valeur » sur l’Imerina. Néanmoins, cela ne justifie pas le titre « ambitieux » de l’ouvrage (« History of Madagascar », 1838). Charles Guillain et Vincent Noël apportent des « détails plus considérables » sur l’Ouest malgache et surtout l’Imerina entre 1740 et 1840. « Tous deux arrivèrent à apprécier l’importance historique et sociale des traditions orales, ce qui était assez rare à l’époque et en fonction du pays en question » (« Sakalava » de Vincent Noël, 1845, et « Documents » de Charles Guillain, également 1845). Sous le pseudonyme de Mace Descartes, Henry Descamps s’efforce de réaliser un travail général sur Madagascar qui, bien que contenant une section intéressante du point de vue de l’ethnographie, « n’était qu’une récapitulation du thème Europe et Madagascar ». Raymond Kent pense la même chose de Louis Lacaille « en dépit d’excellents aperçus et même d’exposés prophétiques » (« Connaissance de Madagascar », 1863). Eugène de Froberville publie quelques articles intéressants sur Madagascar ainsi qu’une excellente préface du récit des voyages de Leguevel de Lacombe, « un ouvrage inégal et regardé avec méfiance » (« Voyage à Madagascar et aux Iles Comores, 1823-1830 »). Le récit de Robert Drury (« Madagascar ou Robert Drury’s Journal », 1729) partage également le même sort. Son ouvrage donne même lieu à une controverse. Et le livre de l’Abbé Rochon appartient sans conteste « au royaume de la philosophie morale » («Voyage à Madagascar » I, 1787). « Il faut avouer qu’après quelques 36 décades de contacts entre les pays européens et Madagascar, peu de gens possédaient une connaissance adéquate de l’héritage caché que composaient les documents et récits oraux en existence. » Durant les années 1860, le RP François Callet écrit à la main les histoires de l’Imerina, les « Tantara ny Andriana eto Madagascar », qui restera « un modèle de rassemblement des textes oraux » ainsi qu’un « classique littéraire des idiomes merina ». Barthélémy Huet de Froberville, lui aussi, laisse derrière lui de « nombreuses sources de première importance », inédites, concernant Madagascar pendant les années 1800. Pourtant, Callet pas plus que Froberville ne sont connus à l’époque. De même, « l’insurpassable dictionnaire multi-dialectique » du père Weber (1853-1855) est absolument inconnu de la plupart des résidents de l’ile Bourbon. « Les archives ayant trait à Madagascar qui se trouvaient à La Réunion, à Maurice et en France, ne firent l’objet d’aucune recherche sérieuse, alors que celles de Hollande et du Cap, du Portugal et de la Grande-Bretagne, du Vatican et de Goa, ne furent même pas consultées. » Pela Ravalitera
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