La langue, des « archives vivantes »


Les Notes empruntent ce titre de l’Histoire de Madagascar ouvrage en date de 1968 et adressé aux lycéens des classes terminales. Selon les auteurs, « une langue, la langue malgache, est un document de valeur inestimable. Des recherches sont entreprises sans cesse, avec de méthodes nouvelles, sur les aspects vivants de la langue malgache ». La première constatation est qu’elle se caractérise par son unité qui ne parait pas contestable, même si l’on distingue des caractères dialectiques propres à certaines régions. Car à Madagascar, comme dans tous les pays, «on n’emploie pas toujours le même mot, la même tournure pour exprimer le même objet ou la même situation». Les auteurs de l’ouvrage citent alors Jacques Dez qui est le premier à réaliser, dans les années 1960, les premières cartes qui représentent la répartition géographique des termes utilisés par la population malgache. Le regroupement des résultats de ces enquêtes fait alors apparaitre deux grandes aires dialectales séparées par des régions marginales intermédiaires. Il y a le groupe occidental comprenant le Boina (Boeny), le Menabe et le Sud-ouest, et le groupe oriental constitué par l’escarpe orientale et une partie du centre des Hautes-terres ; et entre les deux, le groupe intermédiaire formé par le Sambirano, les pays des Antankarana, Betsileo, Antesaka, Antemoro et Antanosy. Mais ces clivages que l’on détermine pour des mots, précisent les auteurs, n’excluent pas l’unité de la langue. En fait, ils montrent que «l’occupation de la Grande ile s’est effectuée en deux grandes séries de vagues de migrations qui ont abordé l’ile en des zones côtières différentes ». Deuxième constat: la langue malgache est «un rameau de la souche linguistique indonésienne ». Les auteurs rappellent que les recherches de O. Dahl montrent que la langue parlée à Madagascar serait plus proche du maajan parlé à Bornéo que du malais. «Ce qui pourra préciser, peut-être, l’aire de départ des piroguiers indonésiens. » Et troisième constatation : le malgache est « une langue archaïque par rapport aux langues indonésiennes actuelles». C’est-à-dire que la langue malgache utilise aujourd’hui un vocabulaire, des constructions de phrases qui n’existent plus en Indonésie. Ce, à l’exemple des « Canadiens de Québec et de Montréal qui parlent une langue française archaïque où les accents, les mots, les formes n’ont guère changé depuis le XVIIIe siècle ». Mais cet héritage linguistique indonésien s’enrichit de mots empruntés à des sources extérieures. Les auteurs de l’ouvrage d’histoire mettent en exergue l’apport du sanscrit, langue sacrée des Brahmanes, prêtres de l’hindouisme indien. Cependant le nombre de mots malgaches issus du sanscrit est fort réduit, moins important qu’en Indonésie. Ils en déduisent que le départ des Protomalgaches se tient au moment où l’hindouisme progresse dans le Sud-est indonésien. «L’hindouisation a continué dans les péninsules et l’archipel, alors que l’insularité malgache et l’immensité de l’océan Indien isolaient notre Grande ile. » Pourtant, l’ethnographe Hébert indique, après avoir étudié les appellations saisonnières utilisées dans la Grande ile, que dans certaines régions de Madagascar, les calendriers paysans sont 03d’origine sanscrite. En localisant ces expressions, il souligne un décalage chronologique entre les calendriers saisonniers de l’Ouest et du Sud qui sont les plus anciens et dérivent du sanscrit, et le calendrier de douze mois qui est introduit dans les autres régions (Est et Hautes-terres) au cours d’une période plus récente. La langue malgache emprunte aussi des mots africains- « ce qui révèle des contacts préalables avec la côte africaine et les Africains »- qui portent sur le troupeau et la basse-cour africaine, mais surtout en ce qui concerne essentiellement le vocabulaire. Le livre d’histoire donne ainsi quelques exemples de mots empruntés comme le bœuf (angumbi donne omby), le mouton (ondry), la poule (kuku donne akoho). Parmi les animaux domestiques, le chat et le chien sont désignés, comme beaucoup d’objets ou de plantes, par deux vocables appartenant aux deux continents. Tel chien (amboa ou alika), chat (kari ou saka). Mais il serait trop simple de croire que la désignation d’un objet par un mot issu de l’Afrique implique la provenance africaine de l’objet. Car selon les régions, le vocable utilisé appartient à l’un ou à l’autre des continents : le bananier qui se traduit « foutsy » (mot indonésien) sur la côte occidentale, devient « akondro » (mot bantou) sur les Hautes-Terres. « Ainsi apparaissent les difficultés et les problèmes ! »
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