Rivo Rakotovao : « Il y a des doutes sur l’esprit du texte sur l’opposition »


Après son ajournement par le Sénat, à la dernière heure de la session extraordinaire d’août, le sort de la proposition de loi portant modification de la loi sur le statut de l’opposition est dans l’expectative. Rivo Rakotovao, président de l’institution, explique les motifs de la décision de la Chambre haute. En perspective des communales, les préparatifs du parti « Hery vaovao ho an’i Madagasikara » (HVM), est aussi abordé. Entretien.   • Le Sénat a décidé d’ajourner le débat sur la proposition de loi concernant l’opposition lors de la dernière session extraordinaire. Quelle est l’idée derrière cette décision ? - Non, il n’y a pas d’idée particulière derrière cette décision. Nous avons juste constaté que le temps imparti était insuffisant pour bien étudier le texte au regard de sa portée et ses enjeux. Il s’agit d’un texte ayant une portée éminemment politique. Nous, au Sénat, nous nous sommes demandés : Est-ce que Le temps imparti a-t-il permis de consulter tous les courants d’idée pour permettre à un seul groupe politique à l’Assemblée de décider sur un sujet aussi important, de fixer seule, les règles du jeu ? Plusieurs questionnements se posent sur l’opportunité de cette proposition de loi. Certes, la procédure d’adoption d’une loi veut que ce soit la majorité qui décide au final, mais l’importance du texte nécessite une approche inclusive dans les débats. • À entendre les débats en séance plénière, les sénateurs ont, aussi, pointé du doigt le fait que le texte ne fasse aucune référence à la Chambre haute. - Si nous lisons cette proposition de loi, le Sénat n’est mentionné nulle part. C’est comme si l’institution n’existait plus. Se projettent-ils déjà sur la suppression du Sénat ? Ce sera quand ? Si c’est le cas, pourquoi cet empressement, alors qu’il y a une inadéquation avec les dispositions constitutionnelles. Et je reviens encore au manque de temps pour débattre sur tous ces points de questionnement. • Dès la session extraordinaire qui a suivi l’investiture du Président de la République, le Sénat a, semble-t-il, voulu tempérer le jeu avec l’Exécutif. L’ajournement va-t-il dans ce sens ? - Le Sénat n’a pas vocation à être une institution d’instabilité. Il a été question, durant la session de février, de donner le pouvoir de légiférer au Président de la République. Nous étions conscients que si nous rejetions cette initiative, le pays aurait été paralysé puisque le mandat des députés arrivait à terme et que la Chambre haute ne peut pas siéger seul. C’était une décision prise selon l’intérêt supérieur de la nation. Maintenant, il y a eu cette proposition de loi durant la seconde session ordinaire. Nous nous posons la question sur son opportunité et la précipitation à le faire voter. Nous n’avons pas de réponse, jusqu’ici. Devant l’état actuel des choses, nous ne voyons pas où est l’urgence. • Le Sénat compte-t-il apporter des amendements à cette proposition de loi, ça porterait sur quel point ? - Nous voulons d’abord des explications sur le rapport du texte avec la Constitution, puisqu’il y a, visiblement, une interprétation large des dispositions constitutionnelles qui doivent, pourtant, être d’interprétation strictes. Il y a, aussi, l’avis et la décision de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC), sur le sujet. Nous savons qu’il y a des intentions politiques, mais c’est pour cela que le débat est nécessaire. Nous sentons, par exemple, que l’esprit de ce texte est qu’il ne pourra plus y avoir d’opposition en dehors du Parlement. Ce n’est pas ce que dit la Constitution. Je suis, personnellement, pour le principe que l’opposition doit avoir sa place au Parlement, mais on ne peut pas, pour autant, mettre à l’index l’opposition extraparlementaire. • Pourquoi dites-vous cela ? - Placer l’opposition politique dans un cadre légal fait partie des paramètres du développement. Si le pouvoir pense que l’opposition est un obstacle dans la conduite des affaires étatiques, on ne partage donc, pas la même définition de ce qu’est une République et des cadres institutionnels dans le pays. Si vous pensez que réduire la latitude de ceux qui ne partagent pas le même point de vue que vous, aidera à mieux développer le pays, alors nous n’avons pas la même lecture de ce qu’est la démocratie. • Cette proposition de loi a-t-elle une chance d’être adoptée en l’état par le Sénat ? - Ce sera relativement difficile. Nous sommes en train de débattre et d’étudier ce texte. Il peut y avoir des propositions d’amendement pour renforcer l’opposition parlementaire, mais aussi l’opposition extraparlementaire afin que l’opposition ne soit pas juste symbolique. Tous les scénarios sont envisageables. Après, il y a la procédure législative. Nous allons faire notre travail et nous verrons. • Le fait d’insister pour que le Sénat soit inscrit dans ce texte n’est-il pas une manière indirecte de défendre l’institution ? - Oui c’est le cas. Nous ne nous en cachons pas. Nous défendons cette institution, mais dans la légalité. Le Président de la République a déjà fait part de ses intentions et l’a réitéré officiellement. Nous lui demandons de le faire dans un cadre légal. Il y a une démarche légale pour parvenir à la suppression du Sénat, notamment, la révision de la Constitution. Pareillement, pour la réduction de ses membres. Ça ne se décrète pas puisque le mandat des sénateurs qu’ils soient élus ou désignés, est un mandat impératif. • Etant donné la majorité dont jouit le groupe parlementaire pro-pouvoir à l’Assemblée nationale, il ne lui sera pas difficile, au final, d’adopter cette proposition ? - C’est le cas et c’est pour cela que je mets en avant les questions de principe dans les débats, puisque la procédure d’adoption des lois veut que ce soit l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot après le système de navette parlementaire. Si le pouvoir estime que ce passage en force est nécessaire, même si c’est une procédure légale, je réitère, est-ce ce dont le pays a besoin ? Est-ce là, le résultat des efforts que nous avions faits pour régler les risques récents d’une crise, que d’entrevoir les prémisses d’un retour à une dictature dans la manière de gouverner ? • N’est-il pas trop exagéré de parler de pouvoir autoritaire ? Le mot est peut-être un peu fort, mais on s’achemine vers une pensée unique. Peut-être que certains diront que c’est une condition de la stabilité. Une stabilité conjoncturelle, peut-être, mais après ce sera compliqué, puisque tous les efforts fournis ont pour but d’avoir une alternance démocratique. Il y a une minorité à l’Assemblée nationale, certains partis n’ont même pas d’élu, mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont pas le droit de participer aux débats politiques. L’état, notamment, le président de la République doit avoir une hauteur de vue par rapport au parti majoritaire et écouter toutes les idées. • En parlant de participation au jeu politique, le parti HVM est-il membre de la plateforme des opposants RMDM. Est-il opposant ? - Non, on nous a invités pour participer aux discussions. Nous prônons l’alternance démocratique et nous l’avons prouvé durant la présidentielle. Le HVM a été battu, mais nous avons surtout, respecté tous le cadre légal, dès la démission du président de la République, candidat. Le parti est toujours actif malgré la défaite, nous avons encore des élus au Sénat. Nous remercions l’opposition de nous avoir conviés, mais nous n’avons pas encore répondu puisqu’il s’agit d’une décision importante et pour cela, il y a des procédures à suivre au sein du parti. • Que signifie alors l’adhésion de votre parti à l’acte constitutif de cette plateforme ? - Je vous l’ai dit, nous avons été invités. Nous avons envoyé des représentants pour écouter et prendre part aux réunions. Nous avons reçu une copie du projet de statut qui sera étudié par le bureau national. Ce qui est certain c’est que le parti ne s’effacera pas au profit d’une plateforme. • À vous écouter, il semble que le HVM tend sensiblement vers l’opposition. - C’est un peu normal non ? Nous ne sommes pas au pouvoir. C’est tout à fait normal dans la pratique du jeu politique. Après, c’est la manière de s’opposer qui pourrait être différente. Nous pensons que la conjoncture sociale est encore, trop vulnérable pour supporter une querelle politique stérile. C’est la raison pour laquelle nous gardons le silence. Nous ne discutons même pas de la question de la continuité de l’état. • Que répondez-vous, justement, quand on dit que le précédent quinquennat était un échec ? - Nous avons perdu les élections, mais la vie de la nation ne s’arrête pas là, elle continue. Il n’y a pas de raison de s’emporter. Ce n’est pas parce que nous gardons le silence que cela signifie que nous n’avons rien à dire, que le HVM n’a rien fait dans le pays. Si le pouvoir peut faire une projection de croissance de 7% de croissance d’ici deux ans, ça ne part de zéro. C’est une conséquence de l’objectif de croissance de 5,2% que nous avons fixé pour 2018. Cela signifie qu’il y a eu des résultats positifs. Plusieurs projets que nous avons entamés sont en cours de finition, ou seront lancés, mais nous ne débattons pas sur cela, puisque la continuité de l’état est une chose normale. • Pourquoi restez-vous stoïque face à vos détracteurs dans ce cas ? - Nous venons de quitter le pouvoir, nous connaissons les difficultés qu’on rencontre lorsqu’on dirige le pays alors, nous avons choisi de laisser travailler nos successeurs pour ne pas que l’on ne dise pas que c’est à cause de nous que les choses n’avancent pas. Il y a un président élu. Il a son programme et s’est fixé lui-même des échéances et des objectifs à atteindre. Nous ne discutons même pas sur la continuité de l’état. Il ne faut pas oublier que c’était tout à fait le contraire en 2014. Ils se sont acharnés sur nous dès leur départ du pouvoir jusqu’à ce qu’ils y reviennent. Et ils continuent encore, aujourd’hui. Nous n’allons pas agir de la sorte. Je le répète, c’est le pouvoir qui s’est fixé ses propres échéances, tout le monde pourra juger ses performances après. • Selon vous, les procédures judiciaires contre les anciennes figures du HVM ne seraient que de l’acharnement politique ? - Il y a effectivement, des faits inquiétants ces derniers temps. Le constat est qu’il n’y a que les leaders de notre parti qui sont ciblés. Certains de nos membres ont peur, c’est un fait. La présomption d’innocence est une chose sacrée. Je ne discute pas du fond de ces affaires, la justice est libre, c’est à elle d’en décider. Je parle, toutefois, de la forme qu’on donne à ces procédures qui amène à penser qu’il pourrait y avoir une dimension politique. Je ne défends personne et ne plaiderais jamais pour la culture d’impunité, mais j’espère qu’il ne s’agit pas juste, d’un acharnement politique. • Sur un autre sujet, le HVM s’alignera-t-il aux communales ? - Nous allons essayer d’y prendre part. Nous allons y participer Nous avons, toutefois, des difficultés dans la sélection de nos candidats. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nos membres ont peur. Il y a une psychose selon laquelle, ceux qui sont membres du HVM encourent des représailles politiques ou judiciaires. Ils n’osent donc, pas se présenter sous les couleurs du HVM.
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