À quoi joue la HCC, censée défendre la Constitution et l’État de droit ?


La décision de la Haute Cour Constitution­nelle n°18-HCC/D3 le 25 mai 2018 relative à une requête formulée par 53 députés en déchéance du Président de la République Hery Rajaonarimampianina remet en question les avancées démocratiques difficilement acquises par la Nation Malagasy en 2013. Loin d’apaiser, elle excite et, hélas parfois de façon malsaine, les uns et les autres. C’est le contenu de cette décision de la Haute Cour, insusceptible de recours, qui exacerbe les tensions. On doit réagir ! Toute citoyenne et tout citoyen malagasy sans distinction doit réagir et tout faire pour sauver la jeune démocratie malagasy. Il faut débattre et protéger nos valeurs, communes avec les valeurs de la démocratie. Tout le monde s’accorde à dire que le juge constitutionnel est sorti de sa sphère de compétence et s’est arrogé les pouvoirs des autres Institutions de la République. Il est important d’expliquer techniquement les erreurs et trouver une solution pour limiter les dégâts que pourrait provoquer l’application intégrale de la décision. La HCC, statuant à la place de la HCJ, s’est érigée législateur, fonction qui constitue l’essence même du pouvoir législatif dans un État de droit. Même la fonction de régulation et de sanctions que la HCC invoque doit se fonder sur des textes existants. Cette fonction ne lui donne nullement le pouvoir, ni la légitimité, de légiférer à la place du pouvoir législatif. Le 11ème considérant de la décision précitée de la Haute Cour est sidérant à ce propos. La haute Cour constate que l’article 167 de la Constitution est une procédure particulière sui generis mais non (encore) prévue par l’ordonnance 2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle. La HCC n’hésite pas à « Pallier » la « carence » du législateur pour dire: « le juge constitutionnel institue la règle de procédure et apprécie la règle de fond relative à l’application de l’article 167 susvisé…. » Il est évident que la Haute Cour Constitutionnelle, statuant ici en qualité de Juge en charge de la demande en déchéance, ne peut écrire la loi à la place du législateur. En droit pénal, cette atteinte à la fonction législative est constitutive de forfaiture. On est ici en présence d’un véritable dilemme, doit-on sanctionner les membres de la Haute Cour ou trouver un consensus pour éviter une telle démarche ? Le dispositif de la décision entretient également la confusion. La Haute Cour semble agir concomitamment comme juge de la requête en déchéance substituant la HCJ et comme juge constitutionnel. En tout état de cause, dans la rédaction de son dispositif, la Haute Cour édicte un règlement, une sorte de feuille de route de « sortie de crise », qui s’analyse techniquement comme l’exercice du pouvoir réglementaire. à l’article 4, le juge constitutionnel donne injonction au Président de la République, la plus haute institution de la République, de mettre fin aux fonctions du Gouvernement et de procéder à la nomination d’un premier ministre de « consensus », et ce en contrevenant aux dispositions de l’article 54 de la Constitution – dont il est censé être le gardien. Le Juge Constitutionnel ici ordonne au Président de la République de violer la Constitution. L’article 54 déclare que seul le Président « nomme le Premier ministre, présenté par le parti ou le groupe de partis majoritaire à l'Assemblée nationale…. », La Constitution ne prévoit nullement la possibilité pour la Haute Cour de donner injonction à la plus haute Institution de la République ni encore moins le pouvoir de donner une qualification au Premier ministre, ici dite de « consensus ». Cette expression renvoie au demeurant à ces périodes abjectes de crises, dont particulièrement celle de la TRANSITION de 2009 rejetée par le peuple en 2013. Le Juge Constitutionnel en réalité s’arroge le droit de commander le Président de la République et devient lui-même un « super chef d’État », s’appropriant ainsi les pouvoirs dévolus au Chef de l’État. À l’article 5, le Juge constitutionnel prend la liberté de juger – alors même que le même article 54 dit que SEUL le Président de la République met fin aux fonctions du Premier ministre sur des motifs précis – qu’il lui appartient de Constater ces motifs, la faute grave ou la défaillance manifeste du Premier Ministre, heurtant les dispositions constitutionnelles de l’article 54 ! À l’article 6, le juge constitutionnel donne injonction au Président de la République de nommer – dans un délai qu’il a déterminé unilatéralement – les Ministres ! À l’article 7, le juge constitutionnel vide de sa substance profonde la plus haute Institution qui ne peut plus décider seul, avec le Premier Ministre, le choix des Ministres de souveraineté. Le Juge constitutionnel sort même, on ne sait d’où, une clé de répartition à « convenir » avec les « forces politiques » ! À l’article 8, le Juge constitutionnel donne des instructions à la CENI ET décide unilatéralement de raccourcir la durée du mandat du Président de la République en totale contradiction avec le principe de souveraineté nationale appartenant au peuple malagasy ! À l’article 11, le juge constitutionnel décide de son propre chef d’interdire au Président de la République le droit constitutionnel d’exercer l’article 60 ! À l’article 13 enfin, le juge constitutionnel s’érige le droit de sanctionner librement ce qu’il estime comme le non respect du dispositif inconstitutionnel de sa décision ! Dans le code pénal malagasy, au chapitre II intitulé « Crimes et délits contre la Constitution » et à l’article 127 alinéa 1er, il est dit ceci : Art. 127 -Seront coupables de forfaiture, et punis de la dégradation civique : 1° Les juges, les procureurs généraux ou de la République, ou leurs substituts, les officiers de police, qui se seront immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif, soit par des règlements contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou en suspendant l’exécution d’une ou de plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si les lois seront publiées ou exécutées ; Lorsqu’elle se substitue à la Haute Cour de Justice, la HCC ne peut créer des lois, comme elle le fait dans le cas d’espèce lorsqu’elle définit des règles de fond et de procédure pour statuer sur la requête en déchéance ou lorsqu’elle édicte un « règlement » de sortie de crise. Ce faisant, elle viole les dispositions de l’article 127 al 1er du code pénal précité. Puis, dans son rôle de Juge Constitutionnel, la HCC ne saurait empiéter sur les pouvoirs des autres institutions sauf renier son serment. La HCC n’a pas le pouvoir de créer des normes (même par interprétation de la Constitution) mais plutôt la mission de contrôler la conformité à la Constitution des normes (dont la rédaction est de la compétence du pouvoir législatif.) Le juge constitutionnel dans le monde entier doit assurer la protection de la Constitution et des droits fondamentaux de tous les individus. La préoccupation majeure de tout juge constitutionnel est d'assurer au système de sauvegarde et aux droits garantis une véritable effectivité, pour reprendre les termes de la Cour européenne des droits de l'Homme. La Cour de Justice constitutionnelle Sud-Africaine vient récemment de rappeler le rôle du juge constitutionnel, et c’est encore un postulat de l’Etat de droit, de ne pas méconnaître un autre principe structurel de la démocratie constitutionnelle, le principe de séparation des pouvoirs. La posture du juge constitutionnel Malgache déroge au bon sens et ne contribue point à l’apaisement, bien au contraire. La question alors est de savoir que faire face à un tel déni de l’Etat de droit ? Comment faire pour que la posture de la Haute Cour ne vienne pas polluer définitivement l’environnement démocratique dont l’état actuel, à améliorer certes, emporte la conviction de la majorité de la population malagasy. La Haute Cour semble donner une réponse dans son dispositif, article 14, en donnant la possibilité aux politiques d’établir un accord politique. Ce sont ainsi les politiques qui sont aujourd’hui appelés à venir au secours du juge constitutionnel qui, sur le fond, a failli à sa haute mission !!! On ne va quand même pas en arriver à une vengeance des autres Institutions contre les membres de la HCC ? Il est certainement préférable que les politiques ramènent à la raison les membres de la HCC et établir un accord politique qui éviterait un scandale supplémentaire à la République du fait de ses enfants. Et lorsque cet aspect important des évènements sera réglé, quelle serait la suite à réserver aux juges de la HCC ? On pourrait en rester là si l’article 14 est exécuté et se dire que les membres de la HCC, pour l’avenir, éviteront, de mettre en péril la Nation. Ils n’ignorent certainement pas, en relisant l’ordonnance 2001-003 portant loi organique sur la Haute Cour Constitutionnelle, que la durée de leur mandat n’est pas impérative. Lorsque le comportement du Juge Constitutionnel met en péril l’ordre public Institutionnel, on pourrait légitimement lui retirer la confiance qui exige un comportement éthique qu’il n’a pas respecté. Qu’il s’agisse dans ce cas d’une démission de la fonction ou d’une abrogation du décret de nomination, la forme importe peu. On peut, à tort, penser, en cas d’abrogation, que le Conseil d’État paralyse la décision. L’analyse de la jurisprudence du Conseil d’État français – qui inspire par tradition judiciaire son homologue malgache – est précise. Par un arrêt du 13/09/99 (Mme BA, CE contentieux Assemblée 195616), le Conseil d’État (français) a jugé que la juridiction administrative n’est pas compétente pour apprécier la décision du Président de la République de nommer un membre du Conseil Constitutionnel. par Jacquot Randria 
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