Une armée d’officiers de parade incapables


Les arguments avancés pour expliquer le recul de l’armée royale face au corps expéditionnaire à Andriba, tombent l’un après l’autre, comme le montre Manassé Esoavelomandroso dans son étude sur Le Mythe d’Andriba (Omaly sy Anio, N°1 et 2, 1975). Car même les Français , à travers divers témoignages, sont unanimes à reconnaitre qu’à partir de Maevatanàna, les troupes merina ont l’avantage grâce à leur connaissance de la région et aux ouvrages qu’elles ont construits, grâce également à leur ravitaillement abondant et au nombre important des combattants dotés d’armes modernes et secondés d’auxiliaires chargés notamment du transport. En fait, selon l’historien, l’« affaire d’Andriba» révèle l’inorganisation et la faiblesse de l’Armée merina en 1895, « incapable d’assumer son rôle » qui est de « défendre le royaume contre l’envahisseur étranger ». Il essaie ainsi d’expliquer les causes de cette incapacité qui entrainent l’abandon du 21 aout 1895. Les troupes dirigées par Rainianjalahy, « relativement » bien armées et ravitaillées ne sont ni homogènes, ni aguerries, ni bien commandées. Les envoyés de la Cour, chargés de procéder aux enrôlements, recourent souvent à la force pour désigner des pauvres à la place de riches capables de payer leur liberté (G. Mondain, Documents historiques malgaches, 1928). Parfois, ils prennent, au lieu de leurs maitres, des esclaves rapidement affranchis pour le besoin de la cause (Césaire Rabenoro, « Rainijoary, grand chef militaire malgache », 1974). Ainsi, se retrouvent au front, composant une « armée hétérogène», des hommes « dont la plupart étaient conscients de combattre pour perpétuer une situation qui ne leur était guère favorable». Alors, certains ne se battent que par peur « d’être brûlés vifs » s’ils fuient l’ennemi (convention de Sahafa sous Radama Ier) ; d’autres ne déploient aucun effort pour éviter d’être faits prisonniers ; d’autres encore désertent et grossissent les rangs des bandes de Fahavalo. Dans le Boina (Boeny) de la fin du XIXe siècle, « les Fahavalo étaient des bandes armées composées de Sakalava et parfois de déserteurs merina qui volaient des bœufs, razziaient des villages et réduisaient leurs habitants en esclavage ». Le caractère hétérogène de cette armée, souligne l’historien, est encore accentué par une opposition plus ou moins vive entre les groupes qui la composent. Les troupes de Rainianjalahy représentent, en fait, une juxtaposition de trois ensembles. D’abord, les débris de l’armée d’occupation du Boina, ensuite, les hommes envoyés en renfort , et enfin, les soldats recrutés dans le Vonizongo. Lors de l’attaque de Tsarasaotra et de la bataille de Beritsoka, chacun de ces groupes a son objectif à atteindre ou son secteur à défendre et se soucie très peu de ce que fait le voisin ou de ce qui lui arrive. Manassé Esoavelomandroso mentionne que Rainilaiarivony réagit contre cette situation et, le 4 juillet 1895, « il ordonna à Rainianjalahy et aux autres officiers de procéder à un amalgame et de faire en sorte que, dans toute section ou dans tout groupe de combattants, on retrouvait des représentants des trois entités composant l’armée.» En outre, précise-t-il, les forces merina ne sont pas bien aguerries vu les éléments recrutés. La plupart des hommes ont à peine reçu les rudiments d’une instruction militaire et n’ont aucune pratique. Carence qui n’est même pas compensée par l’expérience, car les défaites successives et les ravages causés par l’artillerie ennemi démoralisent les soldats et empêchent leur formation sur le tas. De surcroit, l’armée royale est « mal dirigée par des chefs sans grande envergure qui se jalousaient les uns les autres ». Comme l’ensemble des hommes de troupe, ils ne sont pas choisis pour leur valeur militaire ou leur talent d’organisateur. Mis à part ceux qui sont formés à l’École des cadets, dirigée par le major Graves, beaucoup d’officiers doivent leur grade à leur naissance, leur richesse et leurs relations avec les hommes importants de la Cour. « Certains chefs n’avaient de militaire que le titre qu’ils portaient. Et ils sont nombreux. » L’historien cite l’exemple de Ramasom­bazaha, premier commandant en chef des forces merina et surnommé « Ramasse-ton- bazar » par le général Reibell (Le calvaire de Madagascar). Il serait célèbre par ses fuites et ses démêlés avec son adjoint Andriantany. Les deux hommes se rejettent mutuellement la responsabilité des échecs subis. Or, ni l’un ni l’autre ne montre beaucoup d’ardeur au combat. Ramasom­bazaha fuit devant l’ennemi parce qu’il a peur d’être tué loin de sa terre natale tout en espérant échapper à la peine capitale, arrivé dans la capitale. Et le nouveau commandant en chef, Rainianjalahy, envoyé pour le remplacer, ne réussit pas à donner aux hommes placés sous ses ordres l’envie de se battre. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Internet
Plus récente Plus ancienne