Former des citoyens intégrés à leur milieu


Politique tous azimuts. Ces mots nouveaux aux oreilles des Malgaches à partir de la mi-année 1972, résument la politique extérieure du régime du général Gabriel Ramanantsoa qui en a fait l’un des objectif de son discours programme après le référendum constitutionnel du 8 octobre 1972. Les Malgaches adoptent ainsi une nouvelle loi constitutionnelle qui entrera en vigueur le 7 novembre et se prononcent à 94 % pour le départ de l’ancien président Philibert Tsiranana. Il s’agit alors de recouvrer l’indépendance totale vis-à-vis de l’Occident- surtout la France- avec lequel Madagascar entretient à l’époque des relations plus que privilégiées, et en prenant en main tous les domaines stratégiques qui font qu’un pays digne de ce nom est souverain. Plusieurs membres du gouvernemen t Ramanantsoa sont concernés par ce changement d’orientation de la politique extérieure du pays. Notamment le ministre des Affaires étrangères, Didier Ratsiraka, et celui de l’Économie et des Finances, Albert-Marie Ramaroson, qui dirigent les négociations devant aboutir à de nouveaux accords de coopération. Car c’est l’un des aspects fondamentaux du gouvernement Ramanantsoa. « Cette question était au cœur des préoccupations, non seulement de la classe politique, mais aussi de l’opinion publique », indique Alain Escaro dans son étude sur La politique extérieure du gouvernement Ramanantsoa vue par Lumière (Revue historique Omaly sy Anio, N°10, 1979). Si l’on revient brièvement sur la situation de Madagascar de l’après-indépendance, un problème fondamental apparait à partir de 1971, celui de l’Enseignement, qui se traduit par des crises successives au niveau de l’École de Médecine de Befelatanana. En s’amplifiant il fini t par toucher toutes les Facultés de l’Université Charles de Gaulle d’Ankatso. L’hebdomadaire catholique pose d’ailleurs une question dans sa livraison du 5 mars 1972: « Comment adapter un enseignement, qui a plutôt fait jusqu’ici preuve de son échec, aux réalités concrètes du pays où vit l’enfant et l’adolescent que l’ont entend former ? » Et le journal apporte sa réponse : « Former des hommes pleinement intégrés dans leur milieu social et dans leur nation en recherche de développement, tel est bien le but de toute éducation vraie. » Le même mois, pour atténuer cette crise, la réunion mixte franco-malgache de l’Enseignement supérieur se met d’accord sur plusieurs points : le gouvernement français s’engage à donner son appui aux orientations du gouvernement malgache, à savoir développer l’Enseignement supérieur dans les provinces, développer également les formations technologiques professionnelles, former des maitres, malgachiser l’Université. Pourtant, peu de temps après, le ministre des Affaires culturelles, Laurent Botokeky, obtient de la France pour la rentrée suivante, deux cent cinquante deux enseignants dans le cadre de la coopération technique, « pour répondre aux besoins d’une assistance non plus de substitution, mais de formation. Et dans l’Enseignement secondaire, soixante postes ont été malgachisés, chiffre record depuis l’indépen­dance ». Les mêmes thèmes reviennent à propos du Colloque international sur les plantes médicinales organisé dans la Grande île en avril 1972. Bref, comme le résume Lumière, « malgachisation certes, mais aussi aide, donc implantation accrue de la France, maintien de relations étroites avec les autres États francophones ». L’Enseignement, surtout supérieur, n’est pas le seul domaine où se voit la mainmise de la France. Elle est même très flagrante sur le plan économique avec la publication de la Charte du développement, le 23 janvier 1972. Ici encore l’hebdomadaire catholique réagit et parle notamment de « chantage du développement ». Il récuse la thèse de l’assistance technique et de la coopération nuisibles à la prise de conscience des populations des pays en développement. Le chroniqueur développe sa position. Le peuple qui a du mal à se nourrir, ne peut changer les structures. Certes, le développement ne peut se concevoir que dans un cadre international, et que l’aide apporte, en principe, des capitaux et des moyens pour booster le développement, mais dans le cas contraire, leur acquisition alourdirait dangereusement le budget de l’État. Toujours durant ces premiers mois de l’année 1972, on en vient aussi à discuter de la malgachisation de l’Économie, à la suite de la signature de l’accord entre l’État et la Société commerciale de l’Ouest africain (SCOA ex-Compagnie lyonnaise de Madagascar), le 27 février. Les jeunes élites malgaches, récemment formés dans les grandes écoles surtout françaises et de retour au pays, estiment que « les rapports État-entreprises privées étrangères vont s’exercer dans le cadre de l’affrontement capitaliste traditionnel et que, par conséquent, aux rapaces étrangers, il faut opposer des rapaces malgaches ».
Plus récente Plus ancienne