Courrier des lecteurs - L’arbre ne fera pas la forêt


Le 1er mars dernier, l’assemblée générale des Nations Unies a lancé une nouvelle décennie (2021-2030) pour la restauration des écosystèmes, dont l’objectif sera de promouvoir la restauration des forêts, mangroves, récifs et autres systèmes naturels afin de contribuer à la lutte contre les changements climatiques, de renforcer la sécurité alimentaire, de promouvoir des modèles économiques « verts » et de préserver et restaurer la biodiversité. Pour une fois, Madagascar aura, littéralement, pris de l’avance puisque notre président a partagé, lors du conseil des ministres du 27 février, son objectif de « Reverdir Madagascar». Naturaliste de cœur et de carrière, je ne peux que me réjouir de cette déclaration, et le remercier de cet engagement. Oui, bel engagement, mais… comme nos ancêtres l’avaient bien compris, un seul arbre ne fait pas la forêt – ni forcément les 80.000.000 d’arbres à planter, correspondant à l’objectif de 40.000 ha par an selon les calculs de la présidence. En effet, en matière de reforestation, ce n’est pas seulement la quantité qui compte, mais tout autant, la qualité. Nous avons besoin des forêts parce qu’elles nous rendent mille et un services indispensables à notre bien-être quotidien : nourriture, bois de chauffe et de construction, plantes médicinales, séquestration de carbone, régulation du cycle de l’eau, habitat pour les lémuriens et autres animaux uniques, et bien d’autres encore. C’est en considération de tous ces services et de la complexité qui les lie les uns aux autres que les Nations Unies parlent de « restauration » et non juste de « reboisement ». Le reboisement n’est qu’une petite partie d’une action visant à restaurer la gamme entière des services que la forêt nous rend. Ne viser que le reboisement ne résoudra qu’une partie de cette équation. Une politique de reboisement solide devrait reposer avant tout sur un aménagement concerté de l’espace qui définit clairement les vocations de chaque zone afin d’assurer que l’on plantera les bonnes espèces au bon endroit pour un objectif et des bénéficiaires bien précis, et surtout sans nuire au peu de forêts naturelles qui nous restent. Ceci nous évitera des inepties telles que « pas moins de quatre mille plants composés de pin, de baobab et d’arbres fruitiers ont été mis en terre dans le parc national de Mikea ». J’espère de tout cœur qu’il s’agit là d’une erreur de la part des journalistes sinon c’est le début de la fin pour la faune et la flore endémiques du parc national… « Reverdir Madagascar » mentionne bien quelques éléments de politique de reboisement tels que sécurisation foncière, encadrement de la migration ou lutte contre les feux de brousse, mais il doit être beaucoup plus explicite sur le comment de tout cela : comment motiver citoyens, petites, moyennes et grandes entreprises, collectivités territoriales décentralisées, etc. pour faire du reboisement une activité durable du point de vue écologique et économique, nécessitant des investissements sur le long terme ? Comment pérenniser ces investissements ? Comment assurer que le bois de chauffe ou de construction venant des futures plantations sera économiquement plus attractif que le bois de forêt naturelle – qui est aujourd’hui majoritairement gratuit ? Comment développer une filière légale et durable de bois (précieux et autres) pour répondre aux besoins futurs de la population ? Ce sont les vraies questions de fond qu’il faut aborder au préalable pour que cette déclaration devienne réalité. Il n’y a pas forcément besoin de réinventer la roue, la Stratégie Nationale d’Appro­visionnement en Bois Energie existe depuis août dernier et les cadres légaux qui permettront sa mise en œuvre sont en cours de finalisation. C’est le fruit d’un long travail concerté entre les secteurs environ­nement, énergie, privé et la société civile, les collectivités territoriales décentralisées. Pourquoi ne pas s’y référer et concentrer les efforts sur sa mise en œuvre ? Par ailleurs, le bioéthanol combustible est la principale source d’énergie envisagée en substitution du bois énergie. La production de bioéthanol pourrait constituer un levier de développement local si elle est bien cadrée et assurée par de petits planteurs. C’est un combustible moins polluant pour l’air et ses utilisateurs, émettant moins de CO2 que le pétrole lampant ou le bois. Mais là encore, des questions de fond sont occultées : comment intégrer les petits producteurs dans une logique de marché et les protéger de la concurrence des grands investisseurs ? Comment éviter que les plantations de canne à sucre à l’échelle viennent concurrencer les espaces nécessaires à l’agriculture vivrière ? Comment assurer que les plantations de canne à sucre ne s’étendent pas au détriment des aires protégées, des zones à haute valeur de conservation et zones forestières en dehors des aires protégées ? Comment s’assurer que la distillation de la canne à sucre pour produire du bioéthanol n’engendre pas elle-même la déforestation en ayant recours à du bois énergie ? Le bioéthanol et les réchauds associés seront-ils effectivement compétitifs par rapport au charbon de bois ? Encore une fois, un projet de loi sur la bioénergie est en finalisation, comprenant des dispositifs répondant à ces risques – résultat de travaux intersectoriels (énergie, environnement, agriculture, industrie, décentralisation, justice…). Cette loi aurait pu être adoptée avant le lancement du projet éthanol le 7 mars, pour faire bien les choses. « Reverdir Madagascar », un bel engagement auquel nous devons tous adhérer, mais qui doit aborder ces questions fondamentales pour gagner en crédibilité… par Anitry Ny Aina Ratsifandrihamanana, Directeur de WWF Madagascar
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