L’épuration de l’Imerina par le tanguin


Si le tanguin est vraisemblablement intégré dans les traditions merina bien avant Andrianampoini­merina, c’est cependant sous son règne que l’épreuve prend l’aspect d’une institution minutieusement organisée. Selon le vieil informateur de Raymond Gerold, (lire précédente Note), « ce fut sous ce grand monarque qu’on commença à avoir recours au tanguin. » Un faste exceptionnel préside alors au ramassage des fruits. Deux cent cinquante (sujets d’) Avaradrano et cinquante chefs accompagnent les deux opérateurs chargés de ramener les graines. Des fonctions spéciales sont créées autour du tanguin dont le souverain s’institue comme le seul détenteur, « …parce que je suis le maitre du tanguin et que nul en dehors de moi ne peut le faire prendre ». L’institution est inaugurée avec un grand retentissement dans le peuple. « On fit prendre le tanguin aux Tsimahafotsy. » La caste de ces hommes libres porte le titre de « Père de la population », car elle a placé Andrianampoinimerina sur le trône. Enrichis et évolués, « les Tsimahafotsy aspiraient à la sécurité d’un royaume fort et organisé ». C’est sous leur impulsion que l’épreuve du tanguin prend une orientation nouvelle. « Le roi allait pouvoir s’en servir pour accomplir leurs desseins. » L’épreuve est ensuite administrée aux serviteurs royaux dont l’un, qui est cher au prince, meurt. « Ce fait, peut-être voulu, mit en relief le caractère de juge suprême du tanguin, devant lequel même le roi s’inclinait. » L’Imerina est alors aux mains de « petits potentats avides ». Un peu partout, règne l’anarchie et l’arbitraire. La sorcellerie surtout exerce son emprise oppressante sur le peuple qui vit dans l’inquiétude et l’insécurité. La conquête d’un tel royaume appelle une vaste épuration. Cette opération, Andrianam­poinimerina ne peut que très difficilement l’entreprendre ouvertement par les armes, sans passer pour un despote sanguinaire. En outre, une action purement diplomatique se serait heurtée à trop de petits intérêts privés et, principalement, à l’opposition occulte des sorciers. L’institution du tanguin va servir le conquérant « à la fois d’arme et de bouclier ». Elle lui permet de placer toute l’Imerina sous son autorité, « sans avoir, vis-à-vis de son peuple, la moindre trace de sang sur les mains ». Le Dr Edouard Heckel dans son ouvrage sur Les plantes utiles de Madagascar (1910) affirme même que la graine du Cerbera venenifera a été, par son emploi comme poison d’épreuve, une des causes de la dépopulation de l’île. Toujours selon Raymond Gerold, en tout cas il est certain « qu’on organisa, en Imerina des épreuves collectives connues sous le nom de Tavibe (grande marmite). Celles-ci se pratiquent lors des fêtes de la circoncision». En ces occasions, on désigne à la purification un nombre plus ou moins grand d’individus. « … C’est ce qu’on appelle tuer les rats », confirme l’informateur de l’auteur. Une clause de l’institution du tanguin prévoit même le cas du coupable innocenté par l’épreuve. « On le soumettait une seconde fois au poison, mais en assortissant l’opération d’une incantation qui rendait l’épreuve logiquement infaillible. » Entre autres, après avoir mélangé à la potion du lait maternel, on use de la formule : « S’il a tété sa mère, qu’il meure » (sic). Et si l’accusé ne succombe pas à cette deuxième épreuve, c’est parce qu’il est immunisé contre le tanguin et, donc, un sorcier. « On le faisait alors périr au moyen d’un nœud coulant. » Andrianampoinimerina prescrit à ses juges de faire prendre le tanguin dans les cas suivants : « Si vous ne pouvez rien décider, si vous ne voyez pas clairement ce qu’il en est, si c’est le cas mais que l’on vous résiste, s’il en est qui le demande, si l’une des parties demande à le prendre ou si toutes les deux le demandent lorsqu’il s’agit de biens, d’argent, de terres ancestrales ou d’accusations portées entre individus… » Mais il précise aussi : « Je fais du tanguin le juge en dernier ressort qui permettra au peuple de connaitre les menteurs. » L’administration du tanguin est confiée aux Mpanozon-doha (ceux qui maudissent les têtes) opérant sur l’ordre des Vadintany (juges dépendant directement du souverain.
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