Fast and Furious


Il y a dans ce pays une propension au yolo (acronyme de you only live once : on ne vit qu'une fois) qui dépasse l'entendement. Les 25 et 26 juin derniers, jours fastes où la population a été servie panem et circenses, la commune rurale d'Alakamisy Fenoarivo a également eu son lot de célébration. En ont témoigné les noctambules encore dehors aux alentours de 22 heures. Parmi eux, des masses imprécises, indécelables au loin, lancées à toute vitesse sur les pentes de la RN1, direction Nord. Ce n'est qu'à la lumière des phares que ces amateurs de « kalesa de l'extrême » se sont révélés aux automobilistes désemparés par autant de témérité. Ils déboulent sur la route tous feux éteints, pas de feu du tout d'ailleurs pour la majorité d'entre eux, assis sur ces petites voiturettes artisanales faites de planches de bois montées sur de petites roues,  et avec l'aplomb de celui persuadé d'avoir eu le dernier mot dans sa conver­sation avec la mort. Il faut que jeunesse se passe ?  À ce rythme, elle trépasse sans problème. Ce n'est un secret pour personne, cette nationale encore vierge de nid de poules dans son ensemble, est l'une des routes de prédilection des amateurs de vitesse. Qu'elle ait été investie comme terrain de jeu par des enfants, dans la nuit noire, sans aucune mesure de sécurité, sans aucun adulte pour les encadrer, laisse sans voix. Sans espoir aussi pour la notion de responsabilité que devrait avoir tout un chacun. Responsabilité. Nom féminin qui indique l'obligation de répondre de certains de ses actes, d'être garant de quelque chose. Autant dire un vocable inconnu de la plupart des usagers de la route de la capitale, où le chacun pour sa pomme fait office de loi. Inconnu de l'automobiliste, certes déjà passablement agacé par des heures d'embouteillage au compteur, qui voit dans la moindre voie ouverte, un boulevard à avaler d'une traite. Au grand dam du piéton qui se trouvera sur sa route. Inconnu de ce père de famille qui transporte femme, poupon et enfant à bord du scooter du clan, le plus souvent sans casques. Le même père de famille qui n'hésitera pas à se faufiler parmi les voitures, persuadé que son seul culot le protègera des éventuels chocs. Mêmes réflexes que l'on retrouve dans la version adolescente du conducteur de scooter mais avec le foutage de gueule en sus. Notion de reponsabilité inconnue de la plupart des piétons, maîtres absolus du macadam, bercés quotidien­nement au doux son du klaxon furibard qu'il ne calcule même plus. Notion inconnue bien sûr de 99,99% des chauffeurs des fameux taxibe, sources principales d'agacement. Mot inconnu enfin  des agents de circulation – pourtant déployés en grand nombre - qui laissent passer des aberrations au vu de tous, sans doute pour ne plus envenimer une situation déjà au niveau zéro du chaos. Ou par simple ignorance. On ne vit qu'une fois à Tana. Parce qu'on aime faire la fête, il est vrai. Mais aussi parce qu'on ne se  rend pas bien compte. On s'étonne qu'il n'y ait pas plus d'hécatombe. Comme s'il y avait une sorte de consensus. Un accord tacite en faveur d'une anarchie bien ordonnée. Un miracle au quotidien. Par Rondro Ramamonjisoa
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