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Dépénaliser le délit de presse : jeune actualité d’une vieille querelle

Au tout début de la colonisation, le général Gallieni obtenait un régime dérogatoire à la loi française du 29 juillet 1881, avec le décret du 16 février 1901. Son article 2 interdisait la publication d’un journal en langue malgache sans autorisation préalable du Gouverneur Général. En 1927, le Gouverneur Général Marcel Olivier promulguait un autre décret qui interdisait toute publication «susceptible de porter atteinte au respect de l’autorité française à Madagascar». Poursuivi pour avoir délibérément fait paraître un article en malgache, dans le journal L’Opinion, le gérant Jules Ranaivo fut condamné à une peine d’amende par le tribunal correctionnel de Tananarive. Mais, il sera acquitté par la Cour d’Appel en septembre 1934, verdict confirmé par la Cour de Cassation de Paris en novembre 1935. Cette «victoire» marque une étape fondamentale dans l’évolution de la presse malgache puisque, en proclamant l’illégalité des décrets de 1901 et de 1927, elle ouvrit la voie à la naissance, en novembre 1936, du premier journal d’opinion en langue malgache, Ny Rariny, de Jules Ranaivo.
C’est le genre de «victoire» qui fait l’unanimité. La lutte en faveur de la suppression de cette autorisation préalable discriminatoire à l’encontre des publications en langue malgache avait la légitimité d’un combat juste.
150 ans après la naissance du premier journal malgache, 80 ans après la création du premier journal d’opinion en langue malgache, et alors qu’un projet de loi sur la communication, très décrié par la profession, va passer en lecture à l’Assemblée Nationale, je reprends l’exposé historique entamé dans la Chronique VANF du 23 mai 2012 : «Libre, la presse doit devenir responsable». Aucun projet de texte ne devrait être adopté sans débat préalable. Et ce débat parlementaire pourrait être enrichi par le travail d’un Rapporteur de talent, comme le fut Eugène Lisbonne, Sénateur au moment des débats sur le projet de loi de 1881, en France.
Quelques mois auparavant, le 29 mars 1881, dans un Madagascar encore indépendant, la reine Ranavalona II promulguait le Code des 305 articles, dont le Titre «Mampitabataba vahoaka» concernait la presse pour la toute première fois dans l’histoire de Mada­gascar. Article 145 : «Raha misy mano­ratra taratasy na manoratra boky na manao gazety izay tokony hahatonga fikomiana na tabataba na milaza ratsy ny Fanjakana amy zavatra tsy nataony, dia sazina» (Si des personnes font des écrits, des livres, des journaux de nature à susciter la révolte ou le désordre, ou qui imputent au gouvernement des actes qu’il n’a pas commis, elles seront punies). Article 148 : «Raha misy mano­ratra na  manao gazety, ka manala baraka olona amy ny zavatra tsy nataony, dia sazina» (Si des personnes écrivent ou publient des journaux et diffament les particuliers en les accusant de choses qu’ils n’ont pas faites, elles seront punies).
Le «Teny Soa», premier journal malgache, parut en janvier 1866. Dès le XIXème siècle, les publications allaient se multiplier, il est vrai prudemment spécialisées à des thèmes historiques ou religieux : Teny Soa (LMS, 1866-1952), Mpanolotsaina (LMS, 1877-1946), Ny Mpamangy (NMS, 1882-1958), Isankerintaona (1877). Le Gouvernement malgache lança son «Gazety Malagasy» (qui parut de 23 juin 1883 à 1894) que contrebalança sans vergogne, dans un contexte de protectorat, la Résidence Générale de France avec son «Ny Mala­gasy» (1887-1893). Le seul cas de censure s’appliqua à l’organe des missionnaires du FFMA, dont le «Ny Gazety Malagasy» fut fermé en 1876, après un an d’existen­ce, pour avoir critiqué la famille du Premier Ministre Rainilaiarivony. Au XXe siècle, le développement de la presse malgache suivit les péripéties de son époque : l’affaire des nationalistes VVS découverte en pleine guerre de 14-18; la libéralisation des publications en langue malgache tardivement acquise juste à la veille de la guerre de 39-45; l’autorisation des partis politiques malgaches en 1946; l’affaire du 29 mars 1947 et la résignation patiente jusqu’à la loi-cadre de 1958…
La loi française sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 appartient à ce package législatif auquel la IIIème République française avait attaché son nom : loi sur la liberté de l’enseignement supérieur (1875), loi sur liberté d’asso­ciation (1901), loi sur la séparation de l’église et de l’État (1905). Après la défaite de 1895, cette loi française sera rendue applicable à Madagascar par l’article 2 du décret du 28 décembre 1895 portant organisation de la justice.
Au cours des débats parlementaires, précédant l’adoption de la loi de juillet 1881, le Rapporteur Eugène Lisbonne de faire remarquer que «il y a eu autant de lois de la presse qu’il y eut de gouver­nements en France depuis cinquante ans : tous les ont soigneusement adaptées à leur principe et les ont subordonnées à ce qu’ils regardaient comme leur salut. C’est ainsi que le code de la presse, presque toujours adopté sous la dictée des événements et variable comme eux, tantôt libéral, tantôt repentant et toujours retouché au hasard des crises ou des peurs du moment, représente tour à tour, selon l’heure ou la circonstance, deux esprits contraires, qu’on a vainement tentés d’amalgamer : l’esprit de liberté et l’esprit de compression» (Dalloz, 1881, IV, 66).
Chacun des textes malgaches sur la presse s’inscrit dans la lignée de la loi française de 1881, dont il ne serait pas idiot de simplement reprendre, en les adaptant aux moeurs modernes, les dispositions les plus démocratiques : la loi 59-29 pour la Première république (1959-1972), l’ordonnance 74-014 pour le gouvernement de Gabriel Ramanantsoa (1972-1975), la loi 90.031 pour la Seconde république (1975-1991). La Transition de 1991-1993 promulgua également l’ordonnance 92-039 sur l’audiovisuel. Depuis février 1989, et la levée de la censure par une décision verbale du Président de la République Didier Ratsiraka, le débat sur le Code de la communication achoppe sur la revendi­cation de dépénalisation des délits de presse, de la part des journalistes et des acteurs médiatiques, contre une exigence d’éthique et de déontologie, attendue par les autres acteurs de la vie publique sinon le grand public.

Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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