La parole aux témoins muets de l’archéologie


Les objets archéologiques sont des témoins muets, mais que les spécialistes savent faire parler. Le témoignage de l’archéologie, comme celui de la linguistique ou de la palynologie, est plus précis que celui de la tradition orale, sans exclure celle-ci. À l’heure de décisions cruciales qui engageront le sort du Rova d’Antananarivo, dont le palais de Manjakamiadana n’est que le monument le plus spectaculaire, il fallait rendre la parole aux archéologues qui ont travaillé sur le site. Loin des fantasmes, il s’agissait d’un travail scientifique. Un témoignage à charge également contre le peu de cas que la République a toujours fait de ce site qui n’est pas qu’un musée à touristes, mais une nécropole royale. L’administration coloniale avait désacralisé les Fitomiandalana, dès 1897. Mais, la République malgache est directement coupable de la destruction de 1995, et du vol par la suite des objets rescapés : ce qui restait des pirogues d’argent dans les tombes royales ; le volatsivaky, piastre entière, de 1844, découverte dans Mahitsielafanjaka ; la couronne royale des Ranavalona, etc. L’Égypte des Pharaons, le Pérou héritier de l’empire inca voire le Cambodge khmer, doivent beaucoup de leur notoriété internationale aux découvertes de l’archéologie. En 2017, encore, en banlieue du Caire, sous 13 mètres de décombres, on a découvert deux fragments d’une statue de neuf mètres de haut. En 2018, des archéologues norvégiens ont localisé un drakkar funéraire viking long de 20 mètres grâce à des sondages au radar capable de pénétrer le sol sur plusieurs mètres de profondeur. En 2020, le long de l’ancien canal Isotry-Isahafa ; ou sous les eaux du lac de Mantasoa ; voire toujours sur la colline d’Antananarivo, mais cette fois, SOUS le Rova, ferait-on semblables trouvailles avec la technologie du 21ème siècle. Quant à l’archéologie préventive, les autorités malgaches ne sont pas encore sensibilisées à son obligation sur chaque chantier, surtout qu’elle doit être financée par l’aménageur qui n’y voit que des dépenses supplémentaires inutiles. Saluons donc la démarche en ce sens de la société Ambatovy sur son chantier Moramanga-Toamasina. Entre pays Tsimahafotsy et territoire Marovatana, Ivato et son lac auraient pu nous inciter à chercher dans son sol des outils à la connaissance de notre passé avant que les engins n’entament les travaux de l’aéroport. Au parc zoologique de Tsimbazaza figure un tombeau dit d’un ancien compagnon d’Andrianampoinimerina : il avait été dégagé d’Isoraka en 1950, sans qu’on entende jamais parler de fouilles annexes. Sous les mètres cubes de remblais du bypass, sans doute aurait-on retrouvé les «lakana mifanongoa», pirogues dans lesquelles avaient été placées les dépouilles des princesses de l’époque vazimba avant qu’on les ensevelisse dans le marais d’Imerimanjaka selon une vieille pratique austronésienne. Un diagnostic archéologique positif, sur l’intérêt scientifique d’un site ou la beauté des vestiges, peut aller jusqu’à imposer la modification du projet d’aménagement. Le plaidoyer, déjà tardif, ne fait que commencer. Remerciements au Professeur Rafolo Andrianaivoarivony, de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université d’Antananarivo, et directeur scientifique des travaux archéologiques à Anatirova. Et à Dr. Bako Rasoarifetra de l’ICMAA (Institut de Civilisation Musée d’Art et d’Archéologie), auteure de la thèse «Le Rova d’Antananarivo : une lecture du passé pour l’avenir» (INALCO, 2009). Question : En vertu de la Charte de Venise, des fouilles archéologiques préventives devraient précéder la reconstruction de Besakana. Rafolo Andrianaivoarivony (RFL) : Oui, c’est une evidence qui s’impose mais depuis l’époque de la gestion de feu Rratsimiebo Henri, alors Directeur de la DNOR (Direction Nationale de l’Opération Rova) et de Monsieur Andriantsitohaina Marcel son adjoint, le chantier de Besakana a été lancé sans l’intervention préalable des archéologues. Depuis cette époque, des poteaux et la poutre faîtière ont été mis en place : va-t-on abattre tout cela lors de la prochaine reprise du chantier ou va-t-on continuer l’existant ? Question : Dans le «Rova Sud», des fouilles archéologiques avaient-elles déjà été menées : sous Besakana, sous l’ancien emplacement des Fitomiandalana, sous l’ancien Tokotanimasina qui portait le «Vatolahin’Andrianjaka», sous l’ancien Fahitra de l’esplanade Ouest ? (RFL) : Sur le site de Mahitsielafanjaka, nous avions mené une archéologie de sauvetage post-incendie. En fouillant son «anjoro firariazana» (coin sacré nord-est de la case), nous avions mis au jour deux jarres superposées (sinibe roa mifanindry) et découvert dans le sinibe inférieur une pièce d’argent datant de 1844 : un bel exemple de hasina/vola tsy vaky. Lors de la reconstruction, les archéologues étaient encore présents car les creusement des trous de poteaux ont fait apparaître d’autres mobiliers de terre cuite et ont fourni de merveilleuses coupes stratigraphiques permettant de retracer l’histoire des occupations du site. Bien sûr, tout ceci a été enregistré sur support photographique. Bako Rasoarifetra (BR) : La pièce découverte dans la jarre enfouie sous la fondation de Mahitsielafanjaka porte la date de 1844. Il s’agit d’une pièce de 5 francs français. Les poteries à Mahitsielafanjaka sont de facture récente, 19ème siècle : essentiellement constituées de grosses jarres découvertes sous la fondation à plus de deux mètres de profondeur. La pierre sacrée d’Andrianjaka a déjà fait l’objet d’une publication dans l’ouvrage intitulé « Civilisations des mondes insulaires. Madagascar, îles du canal de Mozambique, Mascareignes, Polynésie, Guyanes. Mélanges en l’honneur du Professeur Claude Allibert», paru chez Karthala en 2010. Les investigations faites ont prouvé que la pierre sacrée est le monument fondamental du Rova d’ Antananarivo. Le mobilier mis au jour, comme le hasina d’Andrianampoinimerina et celui de Radama I (piastres espagnoles datées respectivement de 1789 et de 1807), matérialise l’authenticité et l’intégrité du monument. Cette pierre incarne également l’axe central de l’évolution de l’histoire politique, économique, culturelle et religieuse de l’Imerina et plus tard de toute l’île. Question : Dispose-t-on d’un catalogue des objets recueillis sous Mahitsielafanjaka et Manjakamiadana ? (BR) : L’équipe du laboratoire devait effectuer un inventaire numérique de l’ensemble du mobilier sauvegardé de l’incendie, d’une part, et du mobilier collecté lors des opérations en archéologie préventive, d’autre part sous l’autorité de la DNOR. Les travaux ont été interrompus faute de budget en 2005. Le catalogage des objets était prévu… Question : Avec les couches successives de remblais, avec la succession des «lapa» détruits ou déplacés, peut-on dater l’année de première occupation de la colline d’Analamanga ? Une telle démarche de datation croisée avait-elle déjà été menée dans le Betsimitatatra et sur Alasora-Imerimanjaka ? (RFL) : Impossible de fouiller les heniheny du Betsimitatatra ! Par contre, les archéologues ont pu travailler sur la plupart des collines sacrées autour de la plaine et la démarche croisée tradition orale /chronologie céramique a été entreprise : les premières occupations des collines se situant en général aux 13ème – 14ème siècles. Question : Le laboratoire, qui devait les étudier à Andafiavaratra, est-il toujours opérationnel ? Quelle en était l’équipe scientifique ? (RFL) : Suite à de nombreux flottements de la part du CNP (Comité National du Patrimoine) et du Ministère en charge de la Culture et du Patrimoine, le Labo d’Andafiavaratra n’a plus fonctionné. D’ailleurs, je me demande QUI EN DETIENT LES CLEFS AUJOURD’HUI ? L’équipe scientifique était ainsi composée : Directeur scientifique, Rafolo ; Adjoint et Premier Responsable du Labo, Rasoarifetra ; Techniciens : feu Raminosata Raivo Tsiresy et Ramiandrarivo Haja du Centre d’Art et d’Archéologie de la Faculté des Lettres ; de nombreux étudiants intéressés sont intervenus ponctuellement. Rappelons que ce Labo avait pu être monté grâce au soutien financier de l’Ambassadeur du Royaume Uni de Grande Bretagne. Pourtant, on ne nous avait alloué aucun budget de fonctionnement. Les archéologues se débrouillaient pour subvenir à l’achat des intrants nécessaires au traitement des objets : brosses, pinceaux, colles, feutres, etc. (BR) : Le laboratoire a fonctionné de façon intermittente, il n’a jamais pu figurer dans une structure permanente, la DNOR étant plus axée sur la reconstruction. Question : Plus généralement, la sécurité et l’intégrité desdits objets est-elle mieux assurée que celles de la collection historique à Andafiavaratra ? (RFL) : Les collections historiques sises à Andafiavaratra et nos objets archéologiques se trouvent sur le même site : celui du Palais du Premier Ministre et leur sécurité relève du Ministère de la Culture. On vous informe que la pièce de 1844 « a été chipée » par un quidam de la sécurité du site profitant du flottement occasionné par un énième remaniement ministériel, il y a plusieurs années de cela. Il faut vous dire qu’à l’époque, à chaque remaniement, on nous intimait de « restituer » les clefs du Labo, d’où les risques de « dérapage » et la pertinence de ma question formulée plus haut sur le lieu et la détention de ces fameuses clefs… Question : Après l’effondrement des Tranomasina, le 6 novembre 1995, quel est l’état de la dépouille d’Andrianampoinimerina et celles des autres souverains dans les «Fasan’ny Lahy», «Fasan’ny Vavy» ? (RFL) : Réponse simple et rapide : les caveaux n’étant pas protégés par des rangolahy (il n’y en avait pas, à la place, on a aménagé un plancher, celui de la Tranomasina), toutes les dépouilles des souverains sans exception étaient réduites en cendres par les flammes, ne subsistant que des petits fragments d’os. Il était alors bien entendu impossible d’attribuer une quelconque identité à chacune de ce qui restait des dépouilles qu’on pouvait dénombrer : trois dans le Fasan’ny Lahy et quatre dans le Fasan’ny Vavy. On « repérait » ce qui restait de chaque dépouille : des cendres et d’innombrables petits fragments d’os. Dans le Fasan’ny Vavy cependant, l’on identifiait aisément ce qui restait de Ranavalona III à cause de son emplacement à part et son cercueil (carbonisé aussi !) et de la petite princesse – une enfant de huit/dix ans – qui devait succéder à Ranavalona II et exhumée de la nécropole d’Ilafy. Cette enfant a été placée aux pieds des adultes, avec ses jouets, devenus mobilier funéraire. Question : Des fouilles ont-elles été réalisées à l’intérieur même des Fitomiandalana (sept-tombeaux-alignés) ? Est-il possible de confirmer ou d’infirmer l’identité des souverains et princes y ensevelis ? (RFL) : Des fouilles ciblées ont été réalisées sur les Fitomiandalana. Dans le plus grand des tombeaux, celui d’Andrianjaka (le plus au Sud) et dans celui situé le plus au Nord, le tombeau d’Andrianavalonibemihisatra d’après les sources écrites. Dans tous les cas, nous avons constaté : 1) l’absence de rangolahy, les dépouilles ayant été ensevelies directement par le terreau de remplissage du tombeau et 2) l’extrême « farfouillis » découvert dans chaque tombeau fouillé, dû aux effets de la translation depuis le Rova Sud et surtout à la répartition de toutes les autres dépouilles déplacées depuis Ambohimanga et Ilafy en mars 1897. Question : A-t-on retrouvé, intactes ou avec suffisamment d’indices, les «Lakam-bola» ? (RFL) : Intactes, non, à cause de l’effet des flammes et de la chaleur. Des indices, oui, à travers des lamelles minces rivetées et tordues mais disjointes, découvertes dans les caveaux au lendemain immédiat du sinistre du 5 novembre 1995 lors des enquêtes d’expertise judiciaire opérées de concert par les archéologues et la Gendarmerie d’Ankadilanana, volées ensuite par des quidam ne laissant « sur place » que des débris de rivets d’argent découpés à la scie à métaux ! Question : Il semble que le corps de Radama II ait été déplacé dans les Fitomiandalana : une communication scientifique a-t-elle déjà été faite explicitant le processus de son identification et mettant fin, éventuellement, à la vieille rumeur de sa survivance ? (RFL) : L’emploi du verbe « sembler » atteste le doute de votre part mais la découverte d’une dépouille intensément enroulée dans une multitude de lambamena, portant une vareuse bleu clair à épaulettes et une petite médaille comportant l’inscription Radama II comporte des indices archéologiques de la « présence » de la dépouille du roi dans ce tombeau…Par respect, les archéologues n’ont pas osé ouvrir dans toute sa longueur l’épais enroulement de linceuls pour être véritablement informés sur la question de l’identité du souverain. Question : Plus généralement, a-t-on prévu un partage par tous moyens utiles : film documentaire, livre, exposition de photos ? (RFL) : La dernière étape obligatoire de toute démarche archéologique est le partage des découvertes à travers des publications : rapports, articles scientifiques ou de presse, travaux académiques (thèse, mémoire, études…), conférences, émissions RTV, expositions. Concernant Anatirova, des rapports ont été rédigés et remis aux commanditaires avec les albums photographiques (des diapositives), des travaux universitaires ont été présentés (une thèse et des mini-mémoires), les opérations et les découvertes (pas toutes) ont eu les échos de la presse et des conférences données dont notamment une à la salle d’œuvre du Lycée d’Andohalo un certain 5 novembre… Pas encore d’expositions organisées, la décision d’en faire incombant en premier chef au Ministère de la Culture et à l’entité en charge du site : la DNOR remplacée par le CNP.
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